Du long-métrage Emily au documentaire Toute la beauté et le sang versé, plusieurs sorties ciné racontent la vie de certaines femmes. Depuis leurs débuts, les biopics ont été friands de raconter ces histoires, pas toujours pour les bonnes raisons…
Un biopic (contraction de l’expression anglaise « biographical motion picture ») est un film biographique qui se concentre sur la vie d’une ou plusieurs personnes ayant réellement existé, en y ajoutant souvent des éléments de fiction ou de dramatisation. Le terme est né dans les années 1950, mais le genre existe depuis les débuts du cinématographe. On fait généralement remonter le tout premier biopic au court-métrage muet L'Exécution de Mary, reine des Écossais, sorti en 1895. Le film retrace les dernières minutes de Marie Stuart, condamnée à mort par sa cousine Élisabeth I d'Angleterre, en 1587. Le réalisateur Alfred Clark et le directeur de photographie William Heise inventent pour l’occasion un effet spécial, qu’on appelle « arrêt de caméra ». Ce trucage permet de simuler une décapitation en échangeant l’acteur (Mary Stuart est jouée par un homme, Robert L. Thomae) et un mannequin. Sur son site, le Guinness World Records note qu’il s’agit du premier film à utiliser un effet spécial, et raconte qu’il semble tellement réaliste quand il sort que, dans un public encore peu habitué, certaines personnes s’interrogent : une femme serait-elle vraiment décédée pour jouer ce rôle ? De la réalité à la fiction et de la fiction à la réalité, il n’y a déjà visiblement qu’un pas.
Quatre années plus tard, en 1899, le Français Georges Méliès (qui est considéré comme l’inventeur des premiers effets spéciaux du cinéma dont… les surimpressions !) réalise Cléopâtre, un film pionnier de bien des manières : il s’agit non seulement de l’un des premiers biopics de l’histoire mais aussi de l’un des premiers films d’horreur. La reine d’Égypte y est interprétée pour la première fois au cinéma par l’actrice Jehanne d'Alcy, qui émerge de la fumée alors que son tombeau est profané. Cléopâtre, un personnage historique qui a particulièrement fasciné le cinéma, de son interprétation par Elizabeth Taylor dans le long-métrage de Joseph L. Mankiewicz en 1963 à Monica Bellucci dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre en 2002, en passant par le futur biopic consacré à la souveraine, Cleopatra, dont la sortie est prévue en 2024, réalisé par Kari Skogland. Gal Gadot y jouera la célèbre reine, un choix qui a suscité des critiques de whitewashing, un terme qui désigne au cinéma le fait pour des acteurs blancs ou des actrices blanches de jouer le rôle de personnes racisées : historiquement, la reine d’Égypte pourrait en effet être originaire du continent africain, alors qu’elle continue à être représentée au cinéma comme une femme blanche.
Les femmes, sujets (ou objets) des biopics
Avec notre regard contemporain, et après les nécessaires questionnements du milieu sur la place des femmes, il est intéressant de noter que ces deux premiers films de l’histoire du biopic ont mis en avant des personnages féminins historiques. Georges Méliès récidivera d’ailleurs un an plus tard, en 1900, avec son court-métrage Jeanne d'Arc. Depuis, le biopic a connu plusieurs âges d’or, notamment dans les années 1930. Mais pourquoi le cinéma, cette immense machine à produire du rêve, qui pourrait créer n’importe quel monde parallèle, nous ramène-t-il autant à la réalité ? Il y aurait d’abord le besoin d’identification du public, mais aussi un certain besoin d’être rassuré. Pour Rémi Fontanel, auteur du livre Biopic : de la réalité à la fiction interrogé par L’Express, ce premier âge d’or intervient juste après la Grande Dépression, la crise économique de 1929, « Il est donc légitime de se demander si l'essor actuel du genre s'explique, pour partie au moins, par la crise économique et, plus largement, politique, que nous connaissons, par les angoisses que celle-ci engendre et le besoin de ré-assurance qui en découle. » Dès lors, le choix de raconter la vie des femmes sous un certain prisme n’est pas anodin. Ainsi, lorsque le cinéma s’intéresse à nouveau à Mary Stuart, dans le film éponyme réalisé par John Ford en 1936, le long-métrage « réaffirme le lien entre pouvoir et masculinité, déstabilisé par la Grande Dépression qui a engendré une « perturbation » de l’ordre de genre. […] le film de Ford représente le pouvoir européen comme « féminin, réduit à l’impuissance, voué au martyre » et participe ainsi à rétablir la légitimité de la domination masculine », écrit Jules Sandeau dans son article Katharine Hepburn en reine de cœur : Mary of Scotland.
Les années 2000, puis 2010, ont connu des nouveaux essors dans ce genre cinématographique. La journaliste Laure Salamon, dans son article Pourquoi les biopic ont-ils tant de succès ? en comptabilise 412 entre 2000 et 2009 alors qu’entre 2010 et 2019, plus du double, soit 1090 biopics ont été produits. Un essor que l’on attribue à un biopic en particulier, La Môme d’Olivier Dahan, sorti en 2007 et qui fera 5,2 millions d’entrées en France. Sortent également Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006), Iron Lady dans lequel Meryl Streep interprète Margaret Thatcher (2011), Diana (2013) ou encore Grâce de Monaco par Olivier Dahan (2014). Vous l’aurez remarqué, dans les biopics, les reines et les princesses reçoivent souvent le premier rôle…
Valeur informative
Aujourd’hui, nombre de biopics continuent de se concentrer sur des personnages féminins, et sont réalisés par des femmes, en mettant en avant des personnalités dont la vie est moins connue (comme l’autrice Emily Brontë, dans le film Emily réalisé par Frances O’Connor) ou sur des aspects méconnus de la vie de certaines femmes dont le parcours a déjà été disséqué (on pense à Corsage de Marie Kreutzer dans lequel l’actrice Vicky Krieps joue l’impératrice Sissi). Certains biopics possèdent donc une valeur informative intrinsèque, notamment quand ils abordent les questions féministes ou l’histoire des femmes, qui ne sont pas enseignées à l’école : Les Suffragettes, réalisé par Sarah Gavron en 2015, nous plonge dans l’histoire de la lutte pour le droit de vote des femmes avec une intensité qu’il est plus difficile de ressentir à travers un livre d’histoire.
Cette énumération de films, depuis la fin du 19ème siècle, cache cependant la sous-représentation des femmes dans le genre du biopic : selon Raphaëlle Moine, dans son article Vies héroïques. Biopics masculins, biopics féminins, seul un tiers des biopics se concentre sur un personnage féminin. Comme une mise en abîme dans cet article de l'ambiguïté de ce genre cinématographique, qui peut à la fois extraire certaines femmes des oublis de l'histoire, tout en continuant à véhiculer certaines représentations éculées.
Comentarios