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Critique : Dune Deuxième Partie, de Denis Villeneuve

Dernière mise à jour : 28 févr.

Fable mouvante

Souvenez-vous : en 2021, alors que le monde du cinéma se remettait laborieusement de la pandémie mondiale, le premier Dune fit un certain tumulte dans l’industrie. À l’opposé des blockbusters survoltés et débordant d’humour, le long-métrage de Villeneuve se distinguait par son rythme lancinant, sa tonalité élégiaque et la complexité de son univers. Un premier opus certes imparfait - des personnages peu incarnés, une fin ouverte frustrante - mais qui s'élevait très au-dessus de la mêlée et augurait une montagne de promesses pour la suite. Deux ans et demi plus tard, vient heureusement l’heure des promesses tenues. 


Ce deuxième volet débute peu ou prou là où les événements du premier nous avaient laissé : Paul Atréides et Lady Jessica évoluent en plein désert, sous la protection des Fremen, tandis que les Harkonnen jouissent de la production d’épices de la planète Arrakis. Alors que Paul assimile avec une aisance rare les coutumes Fremen, certains commencent à voir en lui le messie tant attendu, capable de libérer Arrakis et d’y ramener eau et verdure. Des croyances que ne va pas manquer d’exploiter Lady Jessica pour mener sa caste à la victoire…


Dès sa première scène d’action, qui suit une troupe d’Harkonnen encerclée par les Fremen, on retrouve tout le talent de metteur en scène de Villeneuve. Outre l’imagerie toujours impeccable, c’est surtout le découpage qui fascine : pas un plan en trop, pas un mouvement illisible, l’embuscade suit son cours avec une fluidité déconcertante tandis que le cinéaste alterne habilement entre frontalité et hors-champ pour illustrer la maîtrise Fremen. Le tout est soutenu par un sound-design de grande qualité, apte à rendre tangible les mouvements les plus improbables - notamment cet inquiétant flottement des soldats Harkonnen. Le spectacle est indéniablement de haute tenue mais il s'accompagne également d’une violence surprenante. Les ennemis sont poignardés, achevés à terre, vidés de leur eau jusqu’à la dernière goutte avant que leurs corps ne soient jetés en pâture aux vers des sables. En dix minutes, le film donne le ton : sécheresse des affects, clarté de l’action, démesure de l’univers. Si Dune premier du nom se concluait sur le calme avant la tempête, alors cette suite déchaîne toute la fureur de l’ouragan. 


Plus que jamais, Villeneuve fait sienne l’esthétique du film de guerre. Sa mise en scène puise sa dimension épique d’un savant jeu sur les rapports d’échelle qui amplifient le gigantisme et accentuent le déséquilibre des forces - comme cette scène sidérante avec Paul face à un vers titanesque ou les nombreux affrontements contre les moissonneuses Harkonnen. Mais si Dune : Deuxième Partie est un blockbuster impressionnant, empli d’images fulgurantes, ce formalisme guerrier n’est pas qu’un fantasme cinéphile et s’accompagne d’un propos politique plus féroce et mieux articulé que dans le premier volet. 


On le sait, l’épice, la ressource essentielle d'Arrakis, était pensée comme une métaphore du pétrole par Frank Herbert. En ce sens, Dune : Deuxième Partie est avant tout un grand récit capitaliste, où l’exploitation règne en maître-mot. Exploitation du sol évidemment, dévoré par les machines colossales des Harkonnen - appartenant autrefois aux Atréides - filmées comme de véritables léviathans d’acier. Mais aussi ; l’exploitation des animaux, vers des sables que l’on noie pour en extraire l’essence ; l'exploitation des corps humains, essorés de leur eau par les Fremen ou exhibés sordidement dans les chambres Harkonnen. L’échiquier politique mis en place par cette Deuxième Partie prend la forme d’un défilé d’ogres insatiables, dont les perspectives industrieuses et la soif de pouvoir justifient tous les moyens, et surtout les pires. La grande plus-value de cet opus, c’est que Paul et Jessica n’échappent pas à ce regard impitoyable.



Certaines critiques avaient rapproché l’intrigue du premier volet du “white savior”,c’est-à-dire cette conception très occidentalisante des récits fictionnels où un homme blanc vole au secours d’une communauté défavorisée incapable de se sauver elle-même. Autant dire que ce second opus nuance considérablement cette orientation. 


Villeneuve se place au diapason du roman d’Herbert et fustige frontalement le fanatisme religieux et le danger des leaders charismatiques. Paul Atréides, Muad'dib ou Kwisatz Haderach, peu importe comment on le surnomme, est traité comme un faux messie, un sauveur fabriqué de toutes pièces par des années de prosélytisme et de mensonges. Une approche mordante du sempiternel schéma narratif de l’Élu, trop souvent rebattu et ici violemment remis en question. Le récit surprend ainsi par sa capacité à voir plus loin que la simple révolte de ses héros,  s'acheminant lentement vers une destination plus funeste que prévue. Derrière la légitimité de sa revanche, Paul Atréides progresse sur un fil tenu, le vacillement en embuscade derrière chacun de ses choix. Un axe fort qui hisse le film au-dessus du manichéisme élémentaire de nombreux space opera  - au hasard, Avatar et Star Wars.


Bien sûr, le long-métrage n’est pas parfait. Le casting cinq étoiles est inégal, plus convaincant dans ses seconds rôles - Austin Butler jubilatoire en Feyd-Rautha Harkonnen, Rebecca Ferguson glaçante du début à la fin - que dans son duo principal. Timothée Chalamet n'est pas mauvais mais il a les épaules un peu frêles pour porter une saga aussi massive. De la même manière, cette suite, si elle demeure fluide et compréhensible pour les non-initiés, souffre d’un débordement de personnages, sous-exploitant certaines figures essentielles - à ce titre, l’Empereur et sa fille auraient sans doute mérité d’être intégré dès le premier film. On reprochera également quelques approximations dans la narration et le montage, ce qui entraîne une certaine confusion dans les déplacements des personnages sur Arrakis et rend un tantinet abstraites les opérations militaires.


Quelques scories dommageables mais qui n’empêchent pas de prendre un vif plaisir devant ce second opus. À l’heure où le cinéma à grand spectacle est de plus en plus sclérosé par des productions bâclées et cyniques, sans souffle ni idées,  Dune : Deuxième Partie est un blockbuster olympien, splendidement ouvragé, furieusement dense et parcouru d’un sentiment épique permanent.


RÉALISÉ PAR : DENIS VILLENEUVE

AVEC : TIMOTHÉE CHALAMET, ZENDAYA, REBECCA FERGUSON

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 166 MINUTES

SORTIE : 28 FÉVRIER 2024


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