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Critique : L'île rouge, de Robin Campillo

Dernière mise à jour : 19 août 2023

Colonie décolorée

© Gilles Marchand

Après deux films queers très réussis - Eastern Boys et surtout 120 battements par minute - le cinéaste Robin Campillo revient avec un projet plus intime, presque autobiographique, où il nous raconte une histoire dérivée de sa propre enfance. À cette époque, dans les années 70, son père était sous-officier dans l’Armée de l’air française et sa famille déménageait au gré des velléités géo-stratégiques de la France. Campillo a connu le Maroc, l’Algérie et enfin, surtout, Madagascar, la fameuse Île rouge, qui a été l’ultime destination avant le retour définitif en France et la fin des chimères colonialistes.


Le long-métrage se révèle dans un premier temps comme un tendre retour vers l’enfance où la cellule familiale joue un rôle essentiel. Le petit Thomas, avec ses deux frères et ses parents, passe des jours heureux sous les palmiers tropicaux et le soleil étincelant de Madagascar. Le format carré de l’image renvoie à la nostalgie des photographies de jadis tandis que la caméra se balade sensoriellement entre les personnages, invitant le spectateur à plonger au plus près de ce quotidien éphémère. Sans véritable intrigue, L'Île rouge glisse au fil des jours, entre rêves juvéniles - les écarts imaginaires centrés sur Fantômette, héroïne de fiction préférée de Thomas - complicité mère-fils et souvenirs directement hérités de la mémoire du cinéaste, notamment une rencontre mémorable avec des petits crocodiles. Pourtant, malgré la douceur des moments passés à la plage, malgré toute cette beauté qui irradie partout, quelque chose cloche.


Caché entre les arbres ou sous la table, Thomas est avant tout un témoin. D’abord, il contemple, impuissant, la déliquescence de l’amour de ses parents. Nadia Tereszkiewicz et Quim Gutierrez forment un couple passionné, parfois sensuel, mais consumé peu à peu par la jalousie et les impulsions du mari. Le divorce approche à pas feutrés. Mais ce n’est pas tout, car Thomas perçoit aussi, sans comprendre, les ravages du colonialisme. On touche ici toute la singularité et l’ambition du long-métrage : offrir un regard nostalgique et tendre sur les vertiges de l’enfance tout en saisissant avec lucidité les dérives de la politique expansionniste menée par la France.


Car en arrière-plan de la vie familiale, c’est tout un monde qui se désagrège. La caméra de Campillo n’insiste jamais mais capture tout : les considérations ethnocentristes des militaires sur les traditions locales, l’exploitation assumée des villageoises malgaches comme main d’œuvre pour la fabrication de matériel militaire, l’autosatisfaction médiocre des Français qui baignent dans le luxe sans se soucier de la répression dont ils sont les premiers instigateurs. Madagascar ressemble indubitablement à un Eden, mais il n'appartient pas à la France. Ce n’est pas à un hasard si le film est éclairé par un soleil déclinant, comme pour souligner le caractère évanescent de tous ces moments qui prendront bientôt fin. Le départ est proche.


Si l’ambiance est une réussite totale, l’écriture de L’Île rouge s’avère perfectible. Certains dialogues, surtout liés aux enfants, sonnent parfois trop littéraires, un peu faux. Sans rien dévoiler de la conclusion, difficile aussi d’être convaincu par ce dernier acte qui se recentre brusquement sur la révolte des Malgaches. Certes, l’intention de remettre au premier plan les victimes du colonialisme est aussi pertinente que légitime. Mais le basculement se révèle trop brutal, comme si Campillo tentait de synthétiser tout le versant engagé de son film dans un ultime mouvement un brin artificiel, qui fait perdre au récit une partie de sa puissance émotionnelle.


Des menues réserves pour un long-métrage qui réussit tout de même à capter avec justesse cette rêverie inconsciente et collective que fut le colonialisme français dans les années 70.

RÉALISÉ PAR : ROBIN CAMPILLO

AVEC : NADIA TERESZKIEWICZ, QUIM GUTIÉRREZ, CHARLIE VAUSELLE

PAYS : FRANCE

DURÉE : 117 MINUTES

DATE DE SORTIE : 12 JUILLET




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