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Photo du rédacteurThibault Scohier

Critique : L’Enlèvement de Marco Bellocchio

Les fastes et les rapts du Vatican

© Anna Camerlingo

Il y a certaines histoires qui paraissent si invraisemblables qu’on a tendance à dire : « c’est forcément l’invention d’un scénariste, ça n’a pas pu arriver dans la réalité ». La tragique « affaire Mortara », adaptée avec maestria par Marco Bellocchio, fait partie de celles-là et s’est bien déroulée pendant la seconde moitié du XIXe siècle, au milieu d’une Italie déchirée entre l’autorité du Pape et le rêve d’un État unifié. Edgardo Mortara, jeune garçon juif, a bien été enlevé par les agents papaux en 1852, sous prétexte d’un baptême secret, et emmené au Vatican pour être converti au catholicisme.


À travers cette histoire d’endoctrinement, et la quête de la famille Mortara pour retrouver Edgardo, le cinéaste italien Bellocchio poursuit l’exploration de ses sujets de prédilections : le poids de l’Église, la question du pouvoir et des institutions, celle de la justice, forcément introuvable… Celui qui a déjà dépeint la rédemption d’un mafieux (Le Traître) ou la descente aux enfers d’Ida Dalser, première compagne de Mussolini (Vincere), évoque bien plus largement, à travers une poignée d’individu·es, la fin des États pontificaux et l’unification italienne.


L’Enlèvement est un grand film historique, comme on en voit rarement aujourd’hui en Europe. Sa reconstitution ne cesse d’impressionner, surtout quand on la compare aux moyens du film. Elle est surtout étayée par les décors (reproduits) du Vatican, à la fois sublimes et pompeux, et surtout par la prestation des acteurs et actrices, même les plus tertiaires. Policiers, servantes, prêtres, juges, enfants incarnent l’époque et sont parfaitement dirigé·es. Trois performances doivent être saluées en particulier : celle du jeune Enea Sala (Edgardo Mortara enfant) toujours sur le fil de la justesse et de l’effondrement ; celle de Barbara Ronchi (Marianna Mortara) en mère forte et furieuse ; et surtout celle de Paolo Pierobon (Pie IX) campant un pape terrifiant, malade, à la fois doux et cruel.


Le long-métrage est tout entier tendu par un principe de réalisation qui soutient sa structure : le montage parallèle et l’alternance de séquences qui se répondent. Les rites juifs et catholiques sont mis en vis-à-vis, dès la séparation du jeune Edgardo et de sa famille. Puis la loi laïque (les tribunaux) et la doctrine religieuse (la confirmation). Et enfin l’expression politique d’une ascension (du Royaume d’Italie) et d’une déchéance (du Vatican et du Pape comme souverain temporel). La caméra de Bellocchio ne semble jamais juger ses protagonistes, préférant les observer comme une petite souris, infiltrée dans les coulisses de la grande histoire et des petites destinées.


Composition, cadrage, séquences très réalistes ou de cauchemars, tout profite de l’expérience du réalisateur et conduit à de puissantes vagues d’émotions. Alors que les personnages vieillissent, que les espoirs s’éteignent ou brûlent encore, alors que le jeune Mortara subit l’endoctrinement d’une machine qui semble toute puissante, les climax se succèdent et explosent. Terrible, la conclusion à plusieurs détentes ne saurait laisser indifférent, même si on peut regretter que le dernier tiers du film accélère un peu trop pour achever l’intrigue. On en aurait bien repris pour une demi-heure, c’est dire !


L’Enlèvement a tout du long-métrage « littéraire ». L’influence de La Débâcle de Zola se laisse d’ailleurs deviner : l’histoire deux frères (d’arme ou de sang) enrôlés dans des camps opposés et qui devront se faire face… Si on met de côté un ou deux effets numériques un peu faiblards, ce nouveau film de Marco Bellocchio doit être dévoré et partagé avec le plus grand nombre. Fresque grandiose, récit d’un destin individuel bouleversant, œuvre politique très critique sur le pouvoir religieux, c’est indéniablement un immanquable de cette fin d’année et une preuve que le cinéma italien a encore de beaux restes.


RÉALISÉ PAR : MARCO BELLOCCHIO

AVEC : LEONARDO MALTESE, PAOLO PIEROBON, BARBARA RONCHI, ENEA SALA

PAYS : ITALIE, FRANCE, ALLEMAGNE

DURÉE : 135 MINUTES

SORTIE : LE 6 DÉCEMBRE

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