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De Frankenstein à The Substance : que deviennent les monstres ?

Photo du rédacteur: Julien Del PercioJulien Del Percio

La sortie prochaine du remake de Wolf Man réalisé par Leigh Whannell nous a donné envie de revenir aux fondements des Universal Monsters et d’interroger l’abondant héritage de cette franchise pionnière du genre. 

© Searchlight Pictures
© Searchlight Pictures

“Monstre” provient du latin monstrum (prodige, avertissement céleste) lui-même dérivé du verbe monstrare (montrer, indiquer). Davantage que l’effroi ou le dégoût, auquel on songe invariablement lorsqu’on pense aux créatures, c’est avant tout la différence qui est signifiée au travers du terme : le monstre, c’est celui qu’on montre (du doigt). Une idée qui constitua la moelle épinière des célèbres Universal Monsters, la première grande saga cinématographique dédiée aux monstres. 


Aux origines du monstre

Petit retour en arrière. En 1929, Carl Laemmle, fondateur d'Universal Pictures, confie les rênes de la compagnie à son fils, Carl Laemmle Jr. Celui-ci, galvanisé par les triomphes du Fantôme de l’Opéra en 1926 et de L’Homme qui rit en 1928, décide de faire du genre horrifique le nouveau fer de lance du studio. L’année 1931 signe ainsi l’acte de naissance des Universal Monsters avec deux films dont l’écho esthétique et culturel résonne encore aujourd’hui : le Dracula de Tod Browning et le Frankenstein de James Whale. Si le premier enracine la représentation du vampire raffiné et gentleman dans l'imaginaire collectif, c'est surtout le second qui installe la charte thématique du film de monstres façon Universal. À l’opposé du caractère unilatéralement pernicieux de Dracula, la créature de Frankenstein interprétée par Boris Karloff éveille en effet des sentiments contradictoires chez les spectateur·ices. James Whale présente son monstre comme une figure tragique, un martyr métaphorique de la répulsion de l’humanité à l’égard de l’autre. Et si ce monstre effraie par sa violence et sa difformité, l’injustice de sa condition et la cruauté avec laquelle on le traite finit par émouvoir le public, confronté à sa propre intolérance. La suite du film, La Fiancée de Frankenstein, explorera davantage cette ambiguïté, adjoignant un sous-texte homosexuel à la relation entre les deux scientifiques et prenant la créature comme véritable protagoniste du récit. 

La Fiancée de Frankenstein, de James Whale
© Universal Pictures

La plupart des autres monstres de la Universal poursuivront dans cette voie, offrant différentes variations sur la thématique de l’altérité, du rejet et de la fatalité. Dans La Momie, sorti en 1932, le prêtre Imhotep s’affirme comme un paria romantique, un être excommunié puis maudit pour avoir dérobé un manuscrit de sorcellerie capable de ressusciter sa bien-aimée. En 1941, Curt Siodmak, scénariste de confession juive rescapée de l’Allemagne nazie, écrit The Wolf Man comme une analogie de la persécution dont il a été victime. Dans l’une des grandes scènes du film, le héros, soumis à sa condition de loup-garou, fait l’objet d’un violent rejet lors de son entrée dans une église catholique, avant d’être poursuivi et lynché par une foule haineuse. En 1954, L’Étrange Créature du Lac Noir fascine par une scène de ballet aquatique où le monstre-poisson imite les mouvements de nage de l’actrice Julie Adams, vêtue d’une tenue osée pour l’époque. Assez longue, cette séquence troublante ouvre les portes d’une autre sexualité, hors des codes, et ajoute une dimension érotique à une créature jusque là présentée comme extrêmement dangereuse. Aujourd’hui culte, le film sera hélas l’ultime coup d’éclat d’Universal, qui sera définitivement supplanté par les propositions plus sanglantes de la Hammer Film Productions à la fin des années 50.

La Fiancée de Frankenstein, de James Whale
© Universal Pictures

Un héritage lourd à porter

Aujourd’hui, Universal semble plus perdu que jamais vis-à-vis de son héritage. Sans idée de renouveau ni projet à long terme, le studio use désormais ses figures mythiques comme un enfant déballe des jouets trop nombreux : une comédie horrifique avec Dracula dans Renfield, un gros film d’action insipide dans un remake de La Momie avec Tom Cruise, un autre Dracula qui tente péniblement de rejouer l’épouvante dans le ringard Dernier Voyage du Demeter. Seul l’Invisible Man de Leigh Whannell tire son épingle du jeu, avec sa relecture féministe maline et sa représentation pertinente du phénomène de gaslighting. Aucun de ces films n’essayent néanmoins de raviver l’aura horrifico-tragique qui fit l’intérêt inaugural de la saga.


Sans doute faut-il désormais tourner la tête vers d'autres studios pour voir la continuité de ce traitement du monstre dans le cinéma grand public. En 2018, Guillermo Del Toro gagnait l’Oscar du meilleur film pour La Forme de l’eau, une romance entre une jeune femme sourde et une créature aquatique sur fond de guerre froide. Si le long-métrage est loin d’être le plus abouti de son auteur, il accentue judicieusement la dimension érotique effleurée dans L’Étrange Créature du lac noir. Là où le film original prônait un triomphe de la norme avec la défaite du monstre et le retour de l’héroïne auprès de son prétendant, cette réactualisation officieuse embrasse sa romance monstrueuse dans toutes ses aspérités, y compris charnelles, pour célébrer l’émancipation des marginaux du système. Plus récemment, le body-horror The Substance de Coralie Fargeat emploie la figure du monstre comme métaphore très explicite des injonctions faites aux femmes dans le milieu du show-business. À première vue, l’esthétique pop et survoltée du long-métrage n’a pas grand chose à voir avec le gothique brumeux des Universal Monsters. Pourtant, plus le récit avance, plus la trajectoire torturée de l’héroïne, prête à tout pour rester jeune et belle, renoue avec cet étrange méli-mélo de grotesque, d’effroi et de tragique. Résolument plus moderne dans sa forme et son fond, le film de Fargeat tend un nouveau miroir déformant à la norme et étend finalement les horizons du monstrueux avec davantage de pertinence que les revivals désincarnés ou post-modernes dont nous abreuvent Universal depuis des années. En espérant que le prochain Wolf Man réalisé par Leigh Whannell tracera également sa propre voie et sera capable de trouver le juste équilibre entre son héritage fécond et un traitement plus actuel.

The Substance, Coralie Fargeat
© Cinéart

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