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Dossier : Battle royale, du film pour ados au brûlot politique


Hunger Games de Gary Ross (2012) © Lionsgate

Au moment de la sortie du préquel de la saga Hunger Games (2012-2015), La Ballade du serpent et de l'oiseau chanteur, posons la question de la place du battle royale ou bataille royale au cinéma. S’agit-il d’un genre plein et entier ? Comment expliquer le succès régulier de sa formule, encore récemment avec la série Squid Game ?


À l’origine, il y a le film matriciel : Battle Royale (2000) de Kinji Fukasaku. Face à la montée de la violence chez les jeunes japonais, une classe d’élèves du secondaire est sacrifiée à travers un jeu macabre, le battle royale. Tous et toutes doivent s’entretuer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un·e. Si les prémisses du long-métrage de Fukasaku sont nébuleuses, son déchaînement de brutalité graphique et sa critique féroce du Japon et de son culte de la compétitivité ont fortement marqué les esprits. Au cours des années suivantes, le battle royale s’est décliné sous de nombreuses formes et dans de nombreux médias ; il a notamment connu beaucoup de succès dans celui des jeux vidéo (Fortnite, PUBG, etc.), qui se prêtait bien à son modèle d’élimination successive. Mais c’est surtout dans la littérature qu’il s’est développé, offrant au cinéma des pistes d’adaptation. Battle Royale est d’ailleurs, d’abord, un roman éponyme de Kōshun Takami écrit en 1999 et Hunger Games une trilogie de Suzanne Collins, publiée entre 2008 et 2010.


Le boom des sagas pour adolescents


Le succès, aux États-Unis et en Europe, du battle royale doit beaucoup au boom des « films jeunesses » entre les années 2000 et 2010. On y voit fleurir de nombreuses sagas qui, à la suite d’Harry Potter, vont suivre des protagonistes enfants et surtout adolescents, affrontant des épreuves et se révélant à travers un parcours initiatique. Le premier Hunger Games (2012) s’inscrit dans ce sillage mais en proposant une vision très radicale où ses personnages sont forcés de grandir au milieu d’une lutte politique dans une société totalitaire. On a tendance à l’oublier, parce que ses suites sont devenues des blockbusters à la sauce hollywoodienne, mais le premier film de la saga, réalisé par Gary Ross, tient plutôt de la production à moyen budget proposant une lecture assez grinçante de la société de consommation américaine. Tout, de son image à la manière de filmer les “Jeux de la faim”, brouillait les pistes en nous mettant à la place du public de Panem lui-même


Une autre saga, celle du Labyrinthe (2014-2018) ou Maze Runner en version originale, surfe également sur la mode du battle royale en reprenant certains de ses codes. Adaptation, encore une fois, d’une trilogie littéraire, L’Épreuve (2009-2011) de James Dashner, l’histoire place ses héros adolescents dans un monstrueux labyrinthe et un jeu d’élimination. Cependant, dès le deuxième film, la série évolue vers de la survie postapocalyptique, avec moult zombies et conflits politiques. Idem pour Hunger Games dont les troisième et quatrième films traitent, et c’est assez rare pour le souligner, de la révolution qui suit la fin des Jeux. Côté japonais, le mal nommé Battle Royale II n’a pas non plus grand-chose à voir avec le premier épisode et tient plus du film de guerre ou d’action… De par les règles strictes qui définissent la bataille royale ou ses déclinaisons, notamment le huis clos dans un espace fermé, la formule arriverait vite à bout de souffle si elle ne consistait qu’en une succession de Jeux ou de Labyrinthe à résoudre.


Jeux d’enfant de Takashi Miike (2014) © Toho

Un sous-genre politique ?


Depuis le succès, et le déclin, des grandes sagas pour la jeunesse, le cinéma américain a largement délaissé le battle royale. Quelques longs-métrages ont réutilisé sa recette avec un résultat souvent assez navrant, comme le bêtement réactionnaire The Hunt en 2020. Il faut remonter à 2015 pour trouver une version plus originale, mais pas sans défauts, avec Cercle.


S’il est un point commun à toutes les œuvres que nous avons mentionnées, c’est qu’elles utilisent le battle royale comme une métaphore de la société, de sa brutalité réelle ou en devenir. Hunger Games est une critique virulente de la société du spectacle et du totalitarisme, non seulement celui des organisateurs des Jeux mais également de celui dans lequel menace de tomber les révolté·es. Même si l’adaptation cinématographique a plusieurs fois réduit la portée politique des livres de Suzanne Collins, son retournement final reste un des plus osés du cinéma grand spectacle de sa décennie. Labyrinthe interroge les limites des sacrifices à consentir pour le bien commun et la privatisation de la science ; The Hunt parle très maladroitement de la fracture de classe entre grands bourgeois et rednecks aux États-Unis ; quant à Cercle, il ausculte plus généralement la démocratie américaine, ses failles et le concept même de morale.


Squid Game (2021), série coréenne « évènement » de Netflix, est sans doute l’émanation récente de la bataille royale la plus connue et la plus regardée. Elle en reprend effectivement tous les codes, avec une certaine intelligence narrative. La boucle semble bouclée avec le Battle Royale original : ici encore, c’est la compétitivité mortifère et les fractures sociales en Corée du Sud qui justifient ce rituel. Si dans l’itération de Fukasaku c’était la société elle-même qui instituait le sacrifice d’une partie de sa jeunesse, dans Squid Game une société secrète et justicière (mais quelle justice !) pense proposer une sorte de voie de secours, pavée de sang.


La série Squid Game, créée par Hwang Dong-hyuk © Siren Pictures Inc.

Une des branches des jeux mortels


L’immense succès de la série s’explique sans doute en partie par la méconnaissance du public européen et américain pour le cinéma japonais. Squid Game puise, par exemple, volontiers de nombreuses idées dans le long-métrage de Takashi Miike, Jeux d’enfant. Gore, psychédélique et ultra-jouissif, cet ovni va très loin dans la violence et tient plus de la satire du film jeunesse évoqué plus haut que du brûlot politique. C’est d’ailleurs un des rares battle royale dans lequel le « jeu » a une origine quasi-divine ou à tout le moins mystique. D’autres sagas s’inscrivent aussi dans le même héritage, comme la trilogie Kenji de Tōya Satō mais il faut poser ici les frontières du battle royale.


Plus qu’un genre à part entière, celui-ci est plutôt une branche d’un autre genre, lui-même peu théorisé ou discuté, celui des Jeux mortels. En effet, à part Battle Royale, les deux premiers Hunger Games et Squid Game, la plupart des cas qui viennent d’être évoqués emprunte à la bataille royale sans coller strictement à sa définition. À l’inverse, l’étiquette des Jeux mortels peut réunir de très nombreux longs-métrages, de la série horrifique des Saw au film indépendant Punishment Park, de l’excellent Prix du danger au kitschissime La Dixième victime.


Tous ces films ont en commun de mettre en scène la violence de l’humanité par le prisme du jeu, revenant finalement au symbole historique et fondateur du Colisée : le spectacle et la mort. Même s’ils peuvent être de purs divertissements, la plupart sont chargés d’un discours ou d’un sous-texte politique et sont souvent issus d’œuvre de science-fiction ; l’écrivain américain Robert Sheckley a eu une influence indéniable dans ce domaine avec des nouvelles comme « Le prix du danger » ou « La septième victime ». Plus que la bataille royale, c’est le jeu où on risque sa vie qui résume un certain rapport à l’existence et à nos sociétés. Et qui repose inlassablement la question mise sur la table par le premier Hunger Games : devant un jeu mortel, n’est-on pas toujours le voyeur ou la voyeuse, critique ou non, se réjouissant de la ludique élimination successive des personnages censés nous représenter ?

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