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Flashback : Filmer la prison

Filmer la prison : une fiction ?


Temps mort, Je verrai toujours vos visages, ou encore Felon. En 2023, les films autour de l’univers carcéral ont le vent en poupe. Des films qui puisent et adoptent les codes des nombreux films de prison qui ont traversé l'histoire du cinéma.

© Studiocanal

Qu’elle nous apparaisse par bribes dans le journal télévisé du soir, ou de manière plus appuyée encore dans des documentaires carcéraux, la réalité de la vie en prison nous fascine. Du moins ce que l’on croit percevoir comme le réel. Car notre vision de la vie en prison est d’emblée biaisée, par le dispositif pour les reportages et autres documentaires, ou par la narration dans le cadre d’une fiction. Est-ce que mettre en scène la vie derrière les barreaux, a toujours été et reste une fiction ?


Le film de prison : un genre en soi


Sur grand écran, la prison est un microcosme. Dans un univers composé de strates sociales, l’on suit souvent l’arrivée d’un nouveau venu dans ce paysage régi par des lois qui lui sont propres. Qu’il soit détective comme dans Shutter Island de Martin Scorsese, un voyou notoire comme dans Dog Pound de Kim Chapiron, finalement, peu importe. Il sera notre guide dans la découverte de cet univers complexe et violent. Ce qui fait d’ailleurs des films de prisons de vrais récits d’apprentissage. Le genre est aussi souvent phallocentré, où la loi est celle du plus fort. Il faut y survivre… ou bien s’en échapper, le film d’évasion dont Le Trou de Jacques Becker est le plus célèbre représentant, étant un des sous-genres principaux du film de prison.


Filmer entre ces quatre murs bétonnés, c’est aussi évoquer l’intériorité et l’enfermement. Qu’il soit celui d’un esprit tourmenté aspirant à une autre vie que la sienne dans Shutter Island. Ou bien plutôt cet espace de désagrégation de l’enveloppe corporelle telle que celle vécue par le personnage incarné par Michael Fassbender dans le Hunger de Steve McQueen. La prison transforme, change, module les corps. Dérègle, embrume, sabote les âmes.


Dans la prison de nos imaginaires cinéphiles, l’extérieur et la vie d’après n’existent pas, ou à peine. Cet espace de réparation devient un simple lieu de survie où le piège de la moralité se doit d’être évité à tout prix.


À l’ombre, lumière sur des enjeux politiques


Loin de se réduire au cheminement d’un détenu, les films de prison aiment à tirer à balle réelle sur le fonctionnement des institutions carcérales. Dans Un prophète de Jacques Audiard, la montée en puissance du jeune caïd interprété par un Tahar Rahim habité, et son putsch à l’encontre du parrain de la mafia Niels Arestrup, passe par la prison. “La cabane” est ici le lieu d’apprentissage de la violence, loin de ses aspirations à la repentance. Une levée de boucliers à l’encontre d’une institution fonctionnant en vase clos dans laquelle la violence fait rage.


Cette remise en cause du pénitencier est fortement présente dans le travail de Frank Darabont dont les films Les Évadés et La Ligne Verte, adaptés de Stephen King, présentent l’un comme l’autre des condamnés qui se révèlent innocents. L’erreur judiciaire, et la double peine à laquelle sont soumis ces personnages qui en plus d’avoir perdu des êtres chers se voient privés de leur liberté, est vivement dénoncée par le réalisateur.


Pas étonnant donc que Jeanne Herry, la réalisatrice de Je verrai toujours vos visages ait déclaré “il faut vraiment repenser cette case ‘prison’. La justice restaurative, ça ne devrait pas être un petit truc en plus, ça devrait faire partie des outils beaucoup plus développés. Parce que responsabiliser les gens, c’est très efficace.


Mais est-ce pour autant une image juste de la prison que nous donne à voir le septième art ou juste une image fictionnelle à prendre comme telle ?


© Castel Rock Entertainment

Bien représenter la prison : un défi impossible ?


Comme l’a dit le réalisateur Régis Sauder, “Il y a ce que l’on croit savoir de la prison à travers les films ou les documentaires, mais c’est autre chose « d’être là ».” Pour bien parler de la prison, mieux vaut y avoir passé un peu de temps. À ce titre, Kim Chapiron, en collaboration avec le producteur George Bermann, a décidé de passer une année à écumer les prisons pour mineurs du Midwest aux États-Unis pour s’imprégner de la violence qui y règne et construire son film coup de poing, Dog Pound.


Pourtant, en dehors de quelques représentations qui semblent coller à la réalité de ce que peut être la prison, la sur-romantisation des personnages dans ces films est fréquente. Les prisonniers apparaissent ainsi souvent comme des anti-héros ténébreux confrontés à des matons sadiques. Dans le film Luke la main froide de Stuart Rosenberg, Paul Newman incarne ce condamné rebelle face aux méthodes utilisées par l’institution pour punir ses locataires. Au point qu’il tente plusieurs fois de s’évader. La solidarité des détenus contre l’autorité est d’ailleurs monnaie courante au cinéma. Les films se font manichéens et embrassent bien souvent le point de vue des prisonniers.


Le point de vue du spectateur est aussi souvent mis à mal par une vision panoptique de ce qu’il se passe en prison : tout est visible par les observateurs omniscients que nous sommes. Loin de cette idée de la prison comme cage de solitude.


Mais alors que permet la fiction dans la représentation de l’univers carcéral ? La force de ces histoires inventées réside justement dans leur capacité de mise à distance de la réalité de ce qu’est la prison : une institution punitive. Une mise à distance qui permet, en plus de protéger les faiseurs de films mais aussi les prisonniers face à des questions (trop) intimes qui impliquent de s’y abîmer, de rendre accessible au plus grand nombre un lieu bien souvent coupé de nos vies. De pouvoir le penser, le questionner, le fantasmer parfois. Mais toujours avec cette volonté de ne pas oublier que ces lieux de réclusion existent et disent quelque chose de notre société, au même titre que les représentations que l’on en fait sur grand écran.


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