Que subsiste-t-il d'un jeu vidéo lorsqu'il est adapté pour le grand écran ? En vue de la sortie de Super Mario Bros. le film ce 5 avril, nous nous sommes penchés sur ce genre à part, où les films hybrides, singuliers et (souvent) ratés abondent.
Malédiction ! A chaque fois qu'un film prend son inspiration dans un jeu vidéo, le sujet revient inévitablement sur la table : est-il possible de réaliser une adaptation réussie d'un jeu ? Il faut dire que le bilan du genre est plutôt désastreux , du tout premier Super Mario Bros. (1993) au récent reboot de Mortal Kombat (2021). Lorsqu'on cherche à traduire pour le septième art l'univers, les personnages, l'histoire et surtout les mécaniques d'un jeu, les embûches sont nombreuses. Il s'agit (entre autres) de transcrire un univers faits d'images de synthèse, combler les vides scénaristiques qui peuvent exister, surmonter les vices de l'industrie cinématographique (hollywoodienne en particulier) et braver la malchance qui semble inhérente à ce type de projet. Ce qui n'empêche pas certains cinéastes et studios de s'y essayer avec des ambitions qui conjuguent l'intérêt commercial au suicide artistique. En résulte des propositions tantôt étranges, tantôt insipides, dont la réussite est sans doute contestable, mais dont l'existence et la forme hybride fascinent.
Silent Hill par exemple, constitue un cas plutôt singulier. Bien que accueilli froidement à sa sortie en 2006, le film d'horreur de Christophe Gans est considéré comme une des adaptations les plus ambitieuses d'un jeu vidéo - en grande partie grâce à sa direction artistique. Profondément inspirés par les jeux de la série et surtout par son univers visuel, le cinéaste et ses équipes jalonnent le parcours de l'héroïne du film de créatures cauchemardesques qui semblent exister quelque part entre les boss de jeux vidéo et les monstres habituels du cinéma d'horreur, pour un effet des plus marquants, à la fois gore et raffiné. Plus que l'histoire des jeux, c'est leur ambiance et leur thématique dont se sont emparés le réalisateur et le scénariste Roger Avary, traçant leur propre route pour raconter les aventures angoissantes d'une mère en quête de sa fille à travers une ville fantôme.
Malgré ces précautions, l'adaptation porte en elle l'identité d'un jeu vidéo. Impossible de ne pas penser à de multiples expériences ludiques d'horreur dès lors que chaque lieu confronte la protagoniste à une nouvelle épreuve monstrueuse. La seule différence étant qu'elle ne les combat pas, elle les fuit, et leur échappe presque miraculeusement. L'effet est troublant, à la fois lourdement répétitif, mais aussi assez proche de la structure d'un rêve, ce qui sied plutôt bien à l'esprit onirique du film. Impossible aussi de ne pas se perdre dans l'univers très riche et presque indigeste du film, qui déborde d'informations et de pistes empruntées à la saga Silent Hill. Le problème est récurrent dans les adaptations de jeux.
C'est indéniablement une des failles du film Assassin's Creed de Justin Kurzel, qui est chargé d'une mythologie que seuls les fans des jeux du même nom pourront pleinement appréhender. Doté d'un casting des plus prestigieux et de moyens colossaux, le film avait tout pour rompre la malédiction du genre. Hélas, espoirs déçus. Trop austère pour être un pur film pop-corn et trop absurde pour être pris au sérieux, le film de science-fiction est un ambitieux chaos qui accumule les décisions contre-intuitives. Adieu l'exploration du passé offerte par les jeux : le long-métrage limite les scènes historiques à peau de chagrin, et nous place, de par la nature même du septième art, dans la position de spectateur passif plutôt que de participant actif. Un peu comme son personnage principal d'ailleurs, plongé dans les souvenirs d'un de ses ancêtres, dont il ne peut que suivre les mouvements. Le principe fonctionnait à merveille dans les jeux, offrant une certaine liberté dans la découvertes de ses mondes ouverts historiques. Ici, le concept nous rappelle seulement les limites du cinéma.
Là est peut-être l'embûche dans le travail d'adaptation : les pouvoirs du cinéma et du jeu vidéo sont similaires sur plusieurs points, mais divergent trop sur d'autres. C'est particulièrement apparent dans les multiples ersatz d'Indiana Jones, comme la saga Tomb Raider, et plus encore Uncharted, cette dernière offrant en quelque sorte la possibilité de jouer un film (ou de regarder un jeu ?) avec son mélange adroit et grandiose de cinématiques et de scènes d'action, écrites avec soin et générosité. Chercher à les adapter pour le cinéma, privant d'une part le spectateur de sa capacité de mouvement, tout en se mesurant aux films de Spielberg au côté desquels il pâlit forcément. Comme de juste, le blockbuster Uncharted avec Tom Holland et Mark Wahlberg en souffre. Sorti en 2022, il semble même son succès commercial avoir déjà disparu des mémoires, si ce n'est peut-être par la démesure de ses scènes d'action, héritée des jeux.
Impossible de ne parler des deux volets de The Last of Us (signés comme Uncharted, par le studio Naughty Dog), dont le premier opus vient de faire l'objet d'une saison de télévision complète sur la chaîne américaine HBO. Avec leurs récits habilement construits, leurs performances convaincantes et le réalisme de leurs images, les jeux post-apocalyptiques The Last of Us se prêtent sans doute mieux à l'adaptation que la plupart, un avantage sur lequel les deux créateurs de la série ont capitalisé. Tout en gardant une fidélité narrative et visuelle à l'œuvre, Neil Druckmann et Craig Mazin ont pris de multiples libertés nécessaires pour permettre à leur série d'exister en tant que telle: plusieurs détours scénaristiques inédits, moins de scènes d'actions et un tempo plus lent. Au point de nous faire oublier qu'il puise sa source dans un jeu vidéo ? Presque. Au détour de certaines scènes, la série vient nous rappeler (peut-être malgré elle) d'où elle vient, créant un sentiment nébuleux. Qu'un personnage aide un autre à grimper un obstacle et puis l'attende patiemment, ou que la protagoniste fouille les tiroirs d'une maison abandonnée de longue date à la recherche de médicaments n'a en soi rien d'absurde, mais ces actions sont si récurrentes dans le jeu qu'elles provoquent un effet dissonant en apparaissant dans un autre média. Comme un virus, les mécanismes du jeu vidéo s'immiscent dans chaque adaptation, de la plus bas du front à la plus prestigieuse.
Le nouveau film de Super Mario Bros. suscitera-t-il des réactions similaires ? Une forme de frustration sera-t-elle de mise face à notre incapacité à contrôler les mouvements du héros moustachu, de virer son kart à gauche plus qu'à droite sur une une grand route « arc-en-ciel » ? Il y a fort à croire que oui. Mais gardons espoir : d'années en années, le passage fatidique d'un écran à un autre gagne en fluidité.