Du 20 au 25 mai, Surimpressions s’invite sur la Croisette pour vous partager ses impressions sur les films de la Sélection officielle. Sous la forme d’un journal de bord compilant nos avis sur le vif, nous vous donnerons un aperçu non exhaustif des films qui retiendront notre attention. Ces épisodes cannois sont à retrouver exclusivement sur notre site.
Bird, Andrea, Arnold, Royaume-Uni — En Compétition
Avec : Barry Keoghan, Franz Rogowski, Nykiya Adams, Jason Buda
Avec déjà trois Prix du Jury à son actif (Red Road en 2006, Fish Tank en 2009 et American Honey en 2016), Andrea Arnold était de retour en Compétition. La veille de la projection de Bird, la Quinzaine des Cinéastes avait décerné à la réalisatrice britannique le Carrosse d’or pour l’ensemble de son œuvre.
Deux ans après Cow (présenté à Cannes Première), son incursion dans le documentaire, Andrea Arnold retrouve, pour son sixième long-métrage, le chemin de la fiction et de son Kent natal. Dans une ville ouvrière, à deux pas de la campagne et non loin de la mer, Bird suit le quotidien de Bailey (Nykiya Adams) qui vit dans un squat avec son père et son frère. Entre une mère absente, victime de la violence de son nouveau compagnon, des petits frères et sœurs apeurés par ce dernier, et Bug (Barry Keoghan), son père immature obnubilé par son mariage avec une femme qu’il connait à peine, Bailey se rebiffe contre cet environnement machiste qui a peu à lui offrir. Sa rencontre avec Bird (Franz Rogowski, l’acteur le plus fascinant et touchant en activité), un homme fantasque au cœur meurtri mais pur, va lui ouvrir d’autres horizons.
Andrea Arnold rappelle encore que personne ne filme la jeunesse et les classes délaissées avec autant d’humanisme qu’elle. Si elle puise toujours dans le réalisme social, elle n’y enferme pas ses personnages et fait décoller son récit et sa mise en scène vers quelque chose de plus poétique et tendrement punk. De son refus du conformisme, elle tire une foi indéfectible en la nouvelle génération : la mission des caïds du quartier est de donner une leçon aux pervers et masculinistes du coin.
Dans ce conte initiatique, la caméra d’Arnold est chevillée au corps de sa protagoniste en lutte contre ce qu’on lui impose. Le virage vers le fantastique, que l’on devine sans que cela n’amoindrisse son impact, déploie des espaces émancipateurs en adéquation avec la nature et les animaux. Irréductibles à des objets de décor, le bestiaire et les éléments incarnent des possibilités de réinvention et d’évasion d’un univers contaminé par la violence des hommes.
En enregistrant ses journées avec son smartphone, Bailey ne documente pas seulement de potentielles agressions, elle dresse aussi l’appareil (protecteur) entre elle et le réel pour le capturer, et le re-monter ensuite. L’insertion des vidéos de l’adolescente dans la mise en scène d’Andrea Arnold façonne ainsi l’autoportrait d’une réalisatrice pour qui le cinéma sert à transcender la noirceur du monde. Son utilisation brillante et exaltante de la musique, avec les échappées — notamment humoristiques — qu’elle permet, traduit une intelligence émotionnelle qui ne succombe jamais à l’appel ni du misérabilisme ni du pathos. La cinéaste nous cueille quand la pop dévoile le besoin d’affection que les personnages n’arrivent pas exprimer correctement. Parce qu’elle sait regarder la rudesse de nos sociétés bien en face, Andrea Arnold témoigne d’une confiance en la puissance salvatrice de son art et en la beauté dans chaque imperfection. En cela, l’absence de Bird au Palmarès est regrettable parce que le Jury a donné l’impression d’avoir pris pour acquis le geste d’une auteure unique qui rassure une jeunesse à qui l’on dit trop rarement que tout ira bien.
All We Imagine as Light, Payal Kapadia, Inde / France / Pays-Bas / Luxembourg — En Compétition - Grand Prix
Avec : Kani Kusruti, Chhaya Kadam, Divya Prabha
La diversité du septième art indien dépasse largement du cadre de Bollywood. Pourtant, malgré sa richesse, cela faisait trente ans qu’un film indien n’avait pas été sélectionné en Compétition au Festival de Cannes. Même sans tenir compte de cette donnée étourdissante, la finesse de la mise en scène de All We Imagine as Light et le regard que porte la réalisatrice sur ses personnages féminins et la ville de Mumbai qui ont séduit les festivaliers. Alors que cette année beaucoup de cinéastes se sont illustré.e.s, avec plus ou moins de succès, dans une recherche de l’effet remarquable, Payal Kapadia s’est au contraire démarquée avec son premier long-métrage de fiction par un sens discret du détail affuté. En construisant un univers vibrant et sensuel autour de ses merveilleuses actrices, elle a esquissé un portrait de l’Inde contemporaine, de ses disparités et d’un besoin d’émancipation, sans tomber dans la chronique.
Dès son ouverture, All we Imagine as Light nous immerge dans le chaos sonore et l’ébullition synesthésique (accentuée par les couleurs saturées) de Mumbai au gré des pensées féminines intérieures qui défilent à l’écran. Dans ce tourbillon de la ville, trois infirmières se débattent et s’entraident pour s’extraire, ne serait-ce que momentanément, des contraintes sociales, sexuelles et/ou religieuses qui pèsent sur elles. Prahba (Kani Kusruti) et Anu (Divya Prabha) sont colocataires et travaillent dans le même hôpital. La première, dont le mari est parti vivre en Allemagne et ne donne plus de nouvelles, s’applique à former les jeunes infirmières et joue un rôle de mentor strict pour la seconde. Prahba aide aussi Parvaty (Chhaya Kadam), une collègue plus âgée menacée d’être délogée par une entreprise de construction. Pendant que Prahba refuse les avances d’un docteur qui la courtise, Anu cherche des cachettes pour faire l’amour avec son petit ami musulman. Cet amour illicite aux yeux de la société, All We Imagine as Light l’incruste, tel un acte romantique et politique, au centre du plan par le biais des sms échangés par le couple ultra-connecté. Prahba et Anu appartiennent ainsi à deux générations différentes et elles entretiennent des rapports au désir qui peuvent s’opposer, mais finissent par se rejoindre dans une sororité, certes parfois houleuse, mais toujours sincère.
Payal Kapadia filme les visages, les peaux, les gestes et les objets du quotidien de ses héroïnes comme des flux et des reflux qui dialoguent tendrement avec des bribes d’espérance intime, sans se soumettre au diktat du rebondissement ou de l’émotion ostentatoire. En lui décernant le Grand Prix, le jury présidé par Greta Gerwig a choisi de consacrer une réalisatrice (et ses actrices) qui a préféré la force de la simplicité à l’épate. C’est tout à son honneur.
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