On le sait, le septième art aime s’auto-réfléchir. Mais jusqu’à quel point est-il capable de contempler son côté obscur ? Avec son caméraman tueur des femmes qui transforme le trépied de son appareil en arme pour capter l’effroi de ses victimes, Le Voyeur a touché une corde trop sensible à l’époque de sa sortie. Étrillé par la critique et à peine distribué, le film de Michael Powell, sans son fidèle collaborateur Emeric Pressburger, est pourtant un chef-d’œuvre d’une grande modernité thématique (le freudisme, la satire de la production mainstream britannique, la dénonciation d’un cinéma-vérité intrusif) et technique (l’usage des travellings, le symbolisme des couleurs en l’Eastmancolor et des décors) sur les dérives macabres de la pulsion scopique.
Non content de placer le spectateur en position de voyeur, le rendant ainsi complice des féminicides de son protagoniste, Peeping Tom, pour reprendre son titre original, explore les dynamiques sociopolitiques et de genre du regard. Si le film frappe toujours par sa capacité à créer de l’empathie envers le tueur — un jeune homme timide dont le sadisme renferme les traumatismes de son enfance —, le récit se confronte aussi à la manière dont Mark Lewis, en tant que produit d’une société britannique réprimée et hypocrite, assassine des femmes qu’il juge remplaçables. Ses cibles sont des travailleuses du sexe et des modèles pornographiques — en opposition à sa petite amie bibliothécaire qu’il épargne — déjà soumises aux désirs masculins. À cet égard, Le Voyeur incarne une version consciente et exacerbée des violences mortifères du male gaze.
Revoir ce film de Michael Powell aujourd’hui, alors que la question de l’orientation du regard est au centre des débats et que le virtuel nous prend dans des flux d’images souvent non-consenties, confirme que le cinéaste anglais a tendu au public un miroir intemporel de son médium.
RÉALISÉ PAR : MICHAEL POWELL
AVEC : KARLHEIN BÖHM, ANNA MASSEY, MAXINE AUDLEY
PAYS : ROYAUME-UNI
Durée : 101 MINUTES
Kommentare