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Simon Lionnet

Le plan-séquence intégral, au delà de la prouesse technique


1917 ©WW Entertainement

Geste ultime de cinéma pour certains, performance écrasant le récit pour d’autres, le plan-séquence fascine et est devenu un véritable argument marketing au fil des années. Retour sur une technique qui va toujours plus loin, comme en témoigne la sortie ce mois-ci de Boiling Point, plongée effrénée en plan-séquence unique dans la cuisine d’un restaurant londonien.


Pour résumer “vulgairement” les différentes définitions qui lui ont été données, le plan-séquence se caractérise en une succession sans coupes de plusieurs mouvements de caméra. Attention cependant, sans coupes ne signifie pas sans montage pour autant. Celui-ci se fait au sein même du procédé dans la composition de cadrage qu’il construit grâce à la mobilité de la caméra. Une mobilité qui sera améliorée avec l’apparition de la Steadicam en 1975. Équipée de son harnais, son bras amovible et son système de stabilisation, la caméra se balade alors avec une fluidité jamais atteinte jusqu’alors. Stanley Kubrick en fera une utilisation marquante, après l’avoir trafiquée, dans un plan-séquence culte de son Shining (1980) où il suit le tricycle du jeune Danny dans sa découverte des couloirs de l’hôtel hanté.


Une contrainte demeure cependant : celle de la longueur limitée des bobines. En 1948, Alfred Hitchcock tente de s’en affranchir avec son huis-clos La Corde pensé comme une prise de vue unique de 1h20. Ne pouvant tourner plus de 10 minutes d'affilée, le maître du suspense collera bout à bout 11 plans-séquences reliés entre eux par des coupes dissimulées, la caméra s’enfonçant dans le dos de ses personnages pour opérer les transitions.


La véritable révolution du plan-séquence arrive dans les années 2000 avec le développement des effets numériques. La continuité de l’action n’est plus impactée par des coupes qui sont désormais quasiment invisibles à l'œil nu. De Panic Room (2002, David Fincher), où la caméra s’affranchit des limites spatiales pour présenter son décor, n’hésitant pas à traverser le plafond ou les serrures des portes, aux scènes de guérilla urbaine dantesques filmées à l’épaule des Fils de l’Homme (2006, Alfonso Cuarón), jamais le plan-séquence n’aura semblé aussi immersif.

Les Fils de l'Homme © Universal

Surtout, le numérique aura donné envie à certains cinéastes de réaliser le fantasme de plan-séquence intégral de Hitchcock (bien qu’il désavouera ce procédé plus tard), n’ayant plus à se soucier de la longueur de la bobine. L’exercice conserve néanmoins son caractère hautement périlleux, demandant un sens de la chorégraphie hors norme, timings serrés obligent, doublé d’une capacité d’adaptation et d’acceptation des problèmes potentiels (surtout liés au caractère imprévisible de la lumière pour les scènes en extérieur). Technique mise à part, le plan-séquence intégral, du moins le vrai, impose au public de suivre la même temporalité que celles des personnages mis en scène. Mais un dispositif aussi complexe et la volonté de réalisme et d’immersion parviennent-ils à servir le récit ? Et vice-versa ?


Depuis L’Arche russe d’Alexandre Sokourov en 2002, premier long-métrage en plan-séquence intégral, les exemples s’opposent. Dans le cas de 1917, on suit au plus près le parcours de deux soldats britanniques lancés dans une mission de sauvetage quasi-impossible en pleine Première Guerre mondiale. Composé d’une succession de plans-séquences raccordés numériquement, le film de Sam Mendes balade sa caméra au gré de la progression laborieuse de ses deux personnages confrontés au chaos et à une menace constante, de leur avancée dans les tranchées à la traversée d’un no man’s land en passant par une course en plein champ de bataille. Bien qu’il pèche par sa structure peut-être trop attendue, enchaînant scènes de tension et d'accalmie indéfiniment, 1917 reste un tour de force technique et visuel servant l’immersion demandée par son récit. Cependant, le film a souffert à sa sortie d’un marketing agressif autour de son dispositif. On se surprend alors à jouer avec le long-métrage, à la recherche de ses coupures numériques, au risque de s’extirper de son ambiance viscérale.


Boiling Point © Paradiso

Un problème que ne rencontrent pas les films en plan-séquence unique, comme Boiling Point, en salles ce 26 octobre. Philip Barantini, réalisateur ayant passé plus de 10 ans dans la restauration, s’immisce dans les coulisses d’un restaurant gastronomique londonien un soir de service. Principalement axé autour de la figure d’un chef en proie à une vie sentimentale chaotique et à de sévères addictions, la caméra à l’épaule navigue, à la manière d’un film choral, entre les différents employés afin de dessiner le portrait le plus authentique possible d’une cuisine soumise à une tension grandissante. Avec son point de vue intrusif et oppressant, renforcé par un positionnement toujours à hauteur de taille, le plan-séquence parvient à capter dans la confusion générale les fêlures de chaque protagoniste avec justesse. Malheureusement, Boiling Point surcharge son récit d’évènements dramatiques jusqu’à l’indigestion, décrédibilisant par moment ce qu’il raconte au détriment de la force et de la maîtrise de ce qu’il montre.


Suivre la même temporalité que celle de ses personnages dans un mouvement constant expose le film en plan-séquence intégral au risque de confronter son public à l’ordinaire. Un risque que plusieurs de ses représentants peinent encore à affronter, de peur d’ennuyer. Leurs ficelles scénaristiques se révèlent alors et abîment l’immersion et la crédibilité de l’univers qu’ils construisent. Le constat peut paraître sévère, mais en aucun cas fataliste tant ce dispositif est jeune et laisse espérer qu’après de multiples tentatives, il trouvera enfin l’équilibre qui fera taire ses détracteurs.




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