Plusieurs films mettant en scène des relations lesbiennes ont été portés sur le grand et le petit écran cette dernière décennie. Au-delà des stéréotypes d’amours intenses qui se consument comme un feu de paille, d’histoires tristes ou de séductions sans lendemain, que nous dit le cinéma sur la diversité des identités lesbiennes et la dimension politique du regard que l’on pose dessus ?
Histoires de femmes, regard d’homme ?
Beaucoup de personnes avaient salué l’audace d’Abdellatif Kechiche dans La Vie d’Adèle : dans ce long-métrage, le réalisateur filme le sexe lesbien comme il était encore trop rarement montré à l’écran. Néanmoins, ces scènes ramènent aussi à un certain voyeurisme et aux fantasmes que suscite la sexualité des lesbiennes dans l’imaginaire. En abordant les amours entre femmes dans leurs films, les réalisateurs hommes ne les ramènent-ils pas à un regard masculin, les conditionnant par leurs propres projections? N’est-ce pas une manière de se réapproprier des histoires qui, par nature, leur échappent ? Si le film Mademoiselle de Park Chan-wook propose un scénario brillant et une romance entre deux femmes qui, grâce à leur intelligence et leur solidarité, s’émancipent des hommes qui les manipulent (ce qui nous fait penser à Bound des Wachowski), la scène de sexe finale - assez superflue - n’échappe pas à ce besoin de ramener la sexualité lesbienne sous un œil masculin.
En parallèle, les histoires lesbiennes racontées dans les films de réalisatrices sont souvent plus pudiques (les scènes de sexe sont souvent suggérées ou d’un tout autre registre), se concentrant davantage sur la dimension sentimentale et émotionnelle ; élevant au niveau artistique la naissance du désir et la construction d’une relation amoureuse. La Belle Saison de Catherine Corsini et Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma en sont deux beaux exemples. Les deux films représentent également les luttes féministes en filigrane de ces relations : dans La Belle Saison, les protagonistes se rencontrent au début des années 70 alors que l’une d’elles est militante du MLF tandis que dans le film de Céline Sciamma, qui se déroule au 18ème siècle, Marianne et Héloïse tombent amoureuses alors que la mère d’Héloïse désire que celle-ci se marie. Des intrigues moins importantes qui ont toutefois une grande portée symbolique, se mêlent à l’histoire de ces dernières : la danse de femmes autour du feu, la solidarité qui les unit à la servante qu’elles aident à avorter. Au-delà d’une histoire d’amour, les deux films sont également teintés de féminisme. C’est affirmer, peut-être indirectement, que les amours lesbiens ne peuvent se concevoir indépendamment d’une remise en question du patriarcat qui tente de les conditionner.
Amours, liberté, adelphité
Georgia Oakley situe son dernier film, Blue Jean, dans l’Angleterre de Margaret Thatcher où une loi vient de passer pour interdire la promotion de l’homosexualité. À la manière du documentaire Rebel Dykes (Harri Shanahan et Siân A. Williams), la réalisatrice britannique montre le militantisme des milieux lesbiens, la force du collectif, leur résistance politique et les espaces de fêtes qu’elles (iels, aels) se sont créés malgré tout. Elle dépeint cette identité comme le lieu d’un autre vivre-ensemble, d’une société secrète où règne une puissante adelphité. Il n’y a pas si longtemps, nous avons pu découvrir Nelly et Nadine, un documentaire signé Magnus Gertten qui revient sur la longue relation entre Nelly Mousset-Vos et Nadine Huong depuis leur rencontre dans le camp de Ravensbrück jusqu’à la mort de Nadine en 1972. Deux femmes qui ont vécu leur amour malgré les conventions de l’époque. Comme Carol dans le film éponyme de Todd Haynes. Mais cela à un prix : celui du secret ou de l’ostracisation.
Dans Thelma de Joachim Trier, l’héroïne finit par assumer son identité et la vivre, sans retourner la violence de ses pouvoirs contre elle et ses propres désirs. Au départ, nous nous sommes interrogés sur le parallèle étrange qui était fait entre la découverte de sa sexualité et celui de ses pouvoirs maléfiques : pourquoi associer une lesbienne à une sorcière? Mais si on consent à la réappropriation féministe de la figure de la sorcière, alors on peut conclure que les dons de Thelma, fussent-ils dangereux, lui permettent de se libérer de ses parents, de la peur et surtout d’elle-même.
Être lesbienne n’est pas qu’une affaire de blanches
Si les lesbiennes sont encore trop peu ou mal représentées à l’écran, les personnes lesbiennes appartenant à d’autres minorités, le sont encore moins et il reste du travail à effectuer en ce sens. La question de l’invisibilité des personnes racisées et queers avait déjà été soulevée avec humour et intelligence par The Watermelon Woman de Cheryl Dunye, que nous affectionnons malgré ses imperfections. Réalisé en 1996, Il est l’un des premiers films à aborder la question, et près de trente ans plus tard, force est de constater qu’elle reste actuelle. On se réjouit donc que des films plus récents évoquent le sujet de l’intersectionnalité ou des vécus lesbiens dans d’autres contextes socio-politiques. Avec leur film Circumstances et Rafiki, Maryam Keshavarz et Wanuri Kahiu questionnent la possibilité de vivre des amours lesbiennes malgré tout, dans des pays qui le condamnent ou ne protègent pas la communauté LGBTQIA+. Portant un sujet aussi fort, ces deux drames sont l’illustration nécessaire d’autres réalités et leurs nuances qui nous échappent. Ici, en l'occurrence, en Iran et au Kenya.
Dans un tout autre registre, Saving Face d’Alice Wu et Shiva Baby d’Emma Seligman, nous plongent tous deux au cœur des communautés respectives des deux cinéastes et traitent le sujet complexe et profond des appartenances multiples avec une légèreté bienvenue. Alice Wu emprunte les codes de la comédie romantique pour traiter du coming-out dans une communauté chinoise étasunienne tandis qu’Emma Seligman situe son intrigue en pleine fête juive durant laquelle son héroïne devra se sortir d’une situation aussi loufoque qu’absurde.
Les quelques exemples que nous avons cités, et qui sont parfois entrés dans une culture commune, nous indiquent où nous en sommes en termes de conception et représentation des identités LGBTQIA+ et en particulier, des relations non-hétérosexuelles et de leurs enjeux. Il existe encore d’autres films lesbiens dont certains sont assignés à circuler de façon confidentielle de festival en festival. Malgré le manque de moyens, des cinéastes s’échinent à produire des films plus représentatifs de leur réalité. On ne peut qu’espérer que davantage de personnes concernées réalisent des œuvres qui offrent un regard neuf et des récits davantage diversifiés.
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