Mr. Scorsese, le passionnant portrait d’un réalisateur torturé
- Adrien Corbeel

- 24 oct.
- 3 min de lecture

De plus d’une manière, Mr. Scorsese correspond exactement à ce qu’on attend d’un documentaire consacré à un grand cinéaste : des extraits de ses films, des témoignages de ses collaborateurs (souvent célèbres) et de ses proches, de multiples détails sur son enfance, le tout raconté chronologiquement, de ses débuts jusqu’à ses dernières réalisations.
Si la série documentaire de Rebecca Miller ne s’était tenue à ça, elle aurait sans déjà été fort passionnante : le parcours de Martin Scorsese est tellement riche, sa filmographie si dense, qu’en évoquer les grandes lignes suffirait à satisfaire l’appétit de nombreux·ses cinéphiles. Mais le portrait en 5 parties que la réalisatrice a constitué va bien au-delà de son cahier de charges. C’est une sincère exploration de l’artiste et de l’homme, qui n’a de cesse de les rassembler plutôt que de les séparer. L’écran se divise d’ailleurs souvent en deux pour mettre en parallèle les propos de Scorsese avec des scènes de ses films, créant de fascinants échos. Quelle part de lui-même le cinéaste a-t-il mise dans Travis Bickle avec Taxi Driver ? Et dans le Jack LaMotta de Raging Bull ?

À des degrés divers, tous ses films sont habités par ses obsessions et son vécu… ce qui ne surprendra sans doute guère les cinéphiles férus de son œuvre. Sa jeunesse passée à côtoyer la pègre, inspirant notamment Mean Streets et Les Affranchis, est de notoriété publique. Tout comme sa tentative d’entrer dans les ordres, un élément de son histoire personnelle qui revient inévitablement lorsqu’on parle de films comme Silence ou La dernière tentation du Christ. Là où Mr. Scorsese surprend, c’est dans sa manière d’interroger le cinéaste sur ces sujets, en invitant par exemple ses amis d’enfance à des discussions, ou en sondant de plus en plus le réalisateur pour mieux le confronter à ses propres contradictions.
Ne cherchant ni à chanter à tue-tête les louanges de Martin Scorsese, ni à faire un portrait à charge, la série documentaire tente surtout d’aller en profondeur. La franchise qui se dégage des témoignages est rafraîchissante, de la part de ses collaborateur·ices (Sharon Stone, par exemple, qui n’hésite pas à parler de boy’s club sur le tournage de Casino), mais aussi de ses proches. Ses filles, souvent négligées par le grand réalisateur, relatent des souvenirs positifs comme négatifs de leur père. Même son de cloche de ses ex-épouses, qui font preuve d’un savoureux franc-parler. “Il y avait une telle colère dans ce si petit corps asthmatique” lance l’actrice Isabella Rossellini, avec qui Scorsese fut marié de 1978 à 1981. Revisitant volontiers sa filmographie sous un œil féministe, Rebecca Miller explore d’un regard incisif sa représentation des personnages féminins, mais aussi les figures masculines en marge qui peuple sa filmographie, et dans lesquels il admet se reconnaître.

De ses multiples rencontres se dégage l’image d’un artiste passionné, anxieux, difficile, prodigieux, torturé et obstiné. Le portrait est forcément incomplet : malgré sa durée de cinq heures, le documentaire va parfois vite en besogne, survolant certains détails biographiques, expédiant certains de ses films, au détriment en particulier des nombreux documentaires qui font partie intégrante de son œuvre. On pourrait également lui reprocher certains choix : l'insistance autour de la question des Oscars (qui finit par devenir lassante) ou le besoin de finir sur une série de notes positives (en contrepied de la propre approche du cinéaste !). Mais ces petits écueils sont facilement oubliables face à l’ampleur du projet. Dense mais accessible, ce voyage à travers l'œuvre et la vie de Martin est hautement stimulant.



