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Raissa Alingabo Yowali M'bilo

Pierre Földes, songes métaphysiques


© Imagine Film Distribution

À l’occasion de la sortie de Saules aveugles, femme endormie le 10 mai, nous avons rencontré son auteur, Pierre Földes. Réalisateur de films en prise de vues réelles et de films d’animation, peintre et compositeur, il est un créateur polymorphe qui nous livre un premier long-métrage poétique, adaptation libre de nouvelles d’Haruki Murakami.


Pierre Földes nous plonge dans un univers où rêve et réalité se mêlent jusqu’à se confondre. Un tremblement de terre survient à Tokyo et chamboule trois destins, trois personnages en qui la catastrophe réveille des craintes, des doutes et des questionnements existentiels. Saules aveugles, femme endormie est une fable aux accents lynchéens qui voyage au fin fond de nous et se fait le miroir des héros et héroïnes ordinaires que nous pourrions être.


Prenant le prétexte de trois personnages ordinaires bousculés par une catastrophe, Pierre Földes part du singulier pour plonger dans l’universel. Une balade onirique et trouble dont autant les couleurs que la musique proposent une expérience planante et sensorielle à découvrir sur grand écran.


Comment vous est venue l’idée du film?


Je lisais Murakami depuis longtemps et en plus d’aimer l’originalité de son style, je me sentais assez proche de son univers. Son écriture renvoie à une certaine fraîcheur et est innovante, c’est ce qui me séduit chez lui. En général, c’est ce qui m’attire chez un auteur. C’est aussi ce que j’aime chez Naguib Mahfouz, un écrivain égyptien, par exemple. Je n’ai pas choisi de nouvelles en particulier, ce ne sont pas tant les histoires qui m'intéressaient, je cherchais plutôt à me plonger dans son monde si particulier. Je voulais porter à l’écran un univers, pas des récits.

© Imagine Film Distribution


Avez-vous pris beaucoup de liberté par rapport à ses textes?


Haruki Murakami m’a donné carte blanche, c’était une véritable chance. L’idée n’était évidemment pas de traduire en images et mot à mot ses œuvres mais de proposer ma propre compréhension des choses. Si l’auteur de l'œuvre dont on s’est inspirée ne s’y retrouve pas, il peut se dissocier du film en retirant son nom du générique. Ce ne fut pas le cas de Murakami pour Saules aveugles, femme endormie. Heureusement, j’ai pu garder toute ma liberté de création, commettre des infidélités. En décidant d’adapter une œuvre, je ne cherchais pas forcément une validation.


Quelles sont les similitudes entre vos deux univers?


Je pense que nous avons un intérêt commun pour les personnages ordinaires, l’exploration de leurs profondeurs. Pour moi, il s’agit d’un ressenti sur la société actuelle, de la laideur teintée d’un brin de beauté. Ces deux mots ne renvoient pas à une considération esthétique en tant que telle mais à ce que ça provoque en moi. Je trouve refuge dans la création qui est inspirée de cette société-là. Saules aveugles, femme endormie s’ancre au Japon mais pourrait se dérouler n’importe où, c’est universel car cela touche à des questions fondamentales.


La catastrophe naturelle qui secoue Tokyo vient chambouler les personnages et provoque une rupture dans leur routine. C’est ce bouleversement et la façon dont ils vont réagir à celui-ci que je trouvais intéressant. La question peut se poser pour chacun d’entre nous, comment ce qui nous bouleverse agit en nous et nous fait éventuellement changer de trajectoire? Qu’est-ce que ça réveille chez nous et comment se (re)découvre-t-on à partir de là ?


Quel rapport avez-vous avec vos personnages?


J’aime tous mes personnages, je trouve important de leur donner une chance à chacun. Ma vie ne ressemble pas à la leur et je ne me projette pas du tout en eux mais je ressens de l’empathie pour eux, pour leurs souffrances et leurs désirs. Je ne porte aucun jugement sur leur moralité : en faisant ce film, je cherchais avant tout à proposer un objet artistique, à inspirer quelque chose de positif sans guider les gens dans ce qu’il faudrait ressentir ni imposer une quelconque émotion.


© Imagine Film Distribution


Comment avez-vous pensé l’univers sonore de Saules aveugles, femme endormie?


J’ai pensé la musique sur plusieurs niveaux, elle devait traduire les univers psychologiques différents. Quand elle suit une action, elle est prenante, habite réellement le tout, elle est jouée par un orchestre. C’est le niveau macro, qui dépasse les personnages. puis elle s’en approche individuellement et devient plus intimiste, plus concrète et sensorielle car elle traduit une intériorité. À ce stade, je voulais avoir le rendu de quelque chose de plus fragile, j’ai donc opté pour une dizaine d’instruments solistes. On balance assez régulièrement de quelque chose de post-romantique comme dans les films de Fellini à une vision plus expressionniste.


Quels étaient les grands défis du tournage?


Le financement est toujours un défi. La fabrication du film en était un autre à cause du contexte covid, il fallait coordonner le travail de professionnels aux quatre coins du monde du Luxembourg au Canada.


Pouvez-vous revenir sur la technique utilisée pour la réalisation du film?


C’est une technique que j’ai inventée : le live animation. J’ai commencé par faire un story-board et filmer de vrais acteurs. Je recherchais quelque chose de sensoriel, qui soit le plus expressif possible. Nous nous sommes donc basés sur les expressions des visages des interprètes. À partir de ça j’ai sculpté des têtes en 3D pour faciliter le travail des animateurs. Ceux-ci devaient transposer les émotions des interprètes pour créer les personnages du film. C’était assez laborieux.


C’était important pour moi d’innover dans la façon de faire un film d’animation. C’est le rôle d’un créatif : inventer son propre style, élaborer sa propre approche artistique. Pour ce long-métrage, le processus de création répondait à la fois à des envies et des nécessités.



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