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Elli Mastorou

Critique : Dalva, d'Emmanuelle Nicot

L'amour qui répare

© O'Brother

La première scène est un choc. Les coups sur la porte d’entrée, les voix graves, le chaos. Au milieu de la pièce, Dalva est bouleversée de voir son père menotté et emmené par des policiers. Ce père avec qui elle vivait de manière fusionnelle, loin des yeux du monde, toutes ces années. Elle écarquille ses yeux lourds de maquillage, ses lèvres fardées de rouge protestent. On dit à Dalva qu’elle va être placée dans un foyer. Qu’elle ne peut plus voir son père. Sans faire attention, on pourrait presque la confondre avec une (jeune) adulte. Mais Dalva a douze ans. Et son univers est sens dessus dessous.


Si le mot “inceste” n’est pas prononcé dans Dalva, le premier long-métrage d’Emmanuelle Nicot, certains indices visuels ne trompent pas, donnant au public le recul que son personnage éponyme n’a pas. Celle-ci, sous emprise puissante, est dans le déni et en colère contre un système judiciaire qui lui a retiré son (re)père. Pourtant le regard d’Emmanuelle Nicot sur son héroïne n’est jamais surplombant. C’est ce qui fait la force de Dalva : le film est raconté entièrement à hauteur d’enfant.


Des 400 coups de François Truffaut au récent Un Monde de Laura Wandel, les exemples de ce type de point de vue filmique ne manquent pas. Mais Emmanuelle Nicot l’emploie à sa manière, infusée de ses propres récits et envies de cinéma. Caméra à l’épaule, elle accompagne Dalva au plus près de ses doutes, de sa colère, et de son incompréhension. Dans le foyer, Dalva va créer des nouveaux liens, et traverser des étapes qui peuvent sembler banales mais s’avèrent cruciales. Choisir seule ses vêtements et comment se coiffer, sans le chignon de madame et les colorations. Troquer le satin pour le coton blanc. Ne pas se maquiller. Apprendre à jouer à gage ou vérité. Les plans serrés, près des peaux et des visages, capturent son regard - au départ méfiant, puis qui se laisse apprivoiser, dans cette trajectoire « inversée » allant de (fausse) adulte à (vraie) enfant.


© O'Brother

Derrière le récit d’enfance abîmée, Dalva propose aussi un questionnement sur les différentes formes d’amour : filial, parental, amoureux, amical. Celui qui répare, et celui qui fait mal. Dans sa reconstruction, l’enfant apprend la différence entre amour et séduction, entre amour et manipulation. Récit à la fois puissant et délicat de résilience, Dalva est porté avec force par Zelda Samson, qui fait devant la caméra d’Emmanuelle Nicot ses premiers pas au cinéma. Lors de la Semaine de la Critique à Cannes, où le film a fait sa première, la jeune comédienne a décroché le Prix de la Révélation, bien mérité. Autour d’elle, les personnages secondaires sont cruciaux. Pour son incarnation de Samia, ado grande gueule qui deviendra sa meilleure amie, Fanta Guirassy a remporté le prix de la Meilleure Interprétation au dernier Festival de Namur. Alexis Manenti, vu dans la série The Eddy ou Les Misérables de Ladj Ly, prête sa voix calme et sa force tranquille à Jayden. Mention spéciale également pour la bouleversante Sandrine Blancke (La Trêve) dans le rôle de la mère qui retrouve enfin sa fille.


S’il n’évite pas certains passages obligés pour les premiers films naturalistes (l’introduction pré-générique, les images du foyer vide, les danses et chorégraphies d’enfants), Dalva tire son épingle du jeu par la radicalité de son point de vue, et la force politique de réappropriation de soi qu'il dessine pour son héroïne. Du choc de la première scène aux larmes difficiles à retenir pendant la dernière, on sent le regard affûté d’une cinéaste en train d’émerger. « L’inceste est un point de départ, mais j’ai surtout voulu faire un film de reconstruction, d’émancipation, de libération ; un cheminement vers la lumière. »



RÉALISÉ PAR : EMMANUELLE NICOT

AVEC : ZELDA SAMSON, FANTA GUIRASSY, ALEXIS MANENTI, SANDRINE BLANCKE

PAYS : BELGIQUE, FRANCE

DURÉE : 83 MINUTES

SORTIE : LE 22 MARS




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