Son intradiégétique ou extradiégétique : un charabia qui a son importance
Paroles. Bruitages. Musiques. Des fréquences de natures différentes qui nous permettent bien souvent d’en apprendre plus sur le récit que l’on voit évoluer sous nos yeux. Un son qui peut être de nature intra ou extra-diégétique.
Ainsi, une musique, une parole, ou un bruitage que les personnages ne seraient pas en mesure d’entendre, n’appartient pas à la diégèse (à l’histoire qui nous est montrée). Il faut donc s’imaginer que quand le requin des Dents de la Mer (1975) s’approche en rythme sur une succession inlassable de deux notes - Mi, Fa - les protagonistes du film ne l'entendent pas. Cette musique infernale s’adresse aux spectateurs, leur intimant de fuir, de se couvrir les yeux face à l’horreur sous-marine qui les guette. Ce son extradiégétique est destiné donc uniquement au public, pour lui donner quelques indices sur ce qui l’attend.
Par contre, pour qu’un bruit appartienne à la diégèse et qu’il puisse ainsi être estampillé intradiégétique, il est nécessaire que le son fasse partie de l’univers que l’on nous donne à voir et qu’il impacte les protagonistes du film. Qu’il s’agisse de musiciens en pleine représentation, comme dans Tár de Todd Field (2022). Ou bien d’une modulation provenant directement d’une radio ou d’une télévision, comme dans Signes (2002) de M. Night Shyamalan, où la télé, et le son qui en provient, jouent un rôle important.
Si la distinction entre les tonalités extra et intra semble évidente à première vue, la frontière peut être plus floue. Selon la classification des sons d’Emmanuelle Bobée, docteur en musicologie, il existe des ramifications au cœur des sons diégétiques. Les bruits entendus peuvent être compris comme des sons réels, audibles par chaque protagoniste du film de manière égale - on dit alors qu’ils sont objectifs. Ou de manière inégale, un protagoniste étant plus sensible aux sons qu’un autre (comme les acouphènes qui handicapent le conducteur de Baby Driver (2017) - on dit alors qu’ils sont subjectifs. À ces sonorités réelles, s’ajoutent des sons imaginaires, que le spectateur entend mais qui n’existent que dans la tête du personnage qui les imaginent - à l’image du tueur fou incarné par un Nicolas Cage habité, dans le Longlegs (2024) de Oz Perkins.
Une distinction qui ne tient parfois qu’à un fil et qui permet ainsi à certains réalisateurs de jouer avec les codes. De passer de l’un à l’autre, pour là encore faire passer un message. C’est le cas de Danis Tanovic dans son film No Man’s Land (2001) dans lequel la musique électronique qui accompagne des scènes de guerre, donne un côté héroïque à l’action. Avant que l’on comprenne que le son provient des écouteurs d’un des soldats, changeant de fait notre perception : il écoute cette musique pour se donner du courage, mais son action n’a en soi rien d’exaltant. Bien au contraire.
Autant de sons, et d’utilisations, à la portée toute symbolique, qui nécessitent pour fonctionner un ultime maillon : que le public se plie aux règles de l’univers proposé. Pour bien comprendre à qui s’adresse la bande sonore et ce qu’elle nous révèle sur l’intrigue, le spectateur doit en amont avoir signé un accord tacite avec le film que le poète britannique Samuel Taylor Coleridge appelle la « suspension consentie d’incrédulité ». Cela permet de faire résonner les sons réels ou imaginaires, intra ou extra diégétique qui l’habitent, avec le monde fictif ou réel qui nous est présenté. Afin de lire correctement la partition du film proposé, et de rappeler avec force pourquoi un film est une œuvre AUDIOvisuelle !
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