Quatre films palestiniens à voir absolument
- Elli Mastorou
- 16 mars
- 4 min de lecture
En 2024, deux documentaires palestiniens sont sortis sur les écrans belges : Bye Bye Tibériade de Lina Soualem, et l’œuvre collective No Other Land, actuellement en lice pour les Oscars. Déraciné, mal distribué, dépendant souvent de financements internationaux, et parfois réduit dans l’imaginaire collectif à des récits brutaux, le cinéma palestinien n’est pas toujours facile d’accès. Qu’à cela ne tienne : voici 4 films, 3 fictions et 1 documentaire, accessibles légalement sur des plateformes de streaming en Belgique, qui racontent la Palestine par le cinéma, avec amour, humour, tendresse, force ou joie.

Farha de Darin Sallam
(2021, disponible sur Netflix)

La « Nakba » (catastrophe en arabe) est le nom donné par les Palestiniens à l’exode de 1948, où environ 750 000 personnes de la population arabe de Palestine ont fui ou furent expulsées de leurs villages – des terres qui passeront sous contrôle israélien suite à la création de l’Etat d’Israël, votée par les Nations Unies en 1947, et la guerre israélo-arabe qui a suivi. C'est dans ce contexte que Farha, héroïne du film de Darin Sallam, voit ses rêves de grandes etudes s'effondrer. Dans le chaos de la fuite, son père l’enferme dans un garde-manger et part se battre en promettant de revenir la chercher. À partir de ce récit tiré d’une histoire vraie, le film déploie un huis-clos dans lequel la jeune fille est témoin impuissant d’événements insoutenables... Si la mise en scène est classique, elle sert une intrigue qui nous tient en haleine, grâce aussi à la performance de Karam Taher qui incarne Farha et dont c’est le premier rôle au cinéma. Fait alarmant : alors qu’il proposait une trentaine de films palestiniens en 2021, Netflix semble en avoir supprimé plus de la moitié fin 2024 : très peu de résultats s’affichent quand on cherche désormais ‘Palestine’ sur le géant du streaming. À l’heure où l’on écrit ces lignes, Farha est encore là. E.M.
It Must Be Heaven d’Elia Suleiman
(2019, disponible sur Sooner)

Depuis son premier opus Chronique d’une disparition (1996), Elia Suleiman (se) raconte (dans) la réalité palestinienne avec le style qui a fait sa réputation : peu de dialogues, des plans larges, un cadre fixe, un humour absurde, et le cinéaste face à la caméra. Dans It Must Be Heaven, Suleiman nous emmène de Nazareth à Paris puis New York, à la recherche d’un paradis sur Terre qu’il ne trouve pas. Témoin muet des moments absurdes de la vie quotidienne, il se plaît à en exagérer les traits, de la “guerre des chaises” au jardin du Luxembourg aux Américains qui circulent armés jusqu’aux dents. Quelque part entre Buster Keaton, Jacques Tati et Wes Anderson, le cinéma de Suleiman, rigolo en apparence, raconte aussi des deuils en filigrane. Des colons violents aux policiers omniprésents, et à travers ses déplacements, le film questionne la notion d’identité et d’appartenance. « Votre film n’est pas assez palestinien » déplore un producteur français (joué par Vincent Maraval himself) à un Suleiman désabusé. Porté par un humour qui a la politesse du désespoir, It Must Be Heaven est dédié à son pays et à ses parents, et se conclut à Nazareth, bouclant la boucle joyeusement sur une foule de jeunes dansant. E.M.
Wajib d’Annemarie Jacir
(2017, disponible sur Cinemember)

La tradition palestinienne veut que, lors d’un mariage, les invitations soient remises en mains propres. À l’occasion du mariage de sa fille Amal à Nazareth, Abu Shadi et son fils Shadi, revenu exprès d’Italie, se retrouvent pour accomplir leur « devoir » (wajib) en honorant la tradition. Entre les embrassades, cafés, gâteaux et félicitations, ce road-trip père-fils à travers la ville fait monter les tensions – et l’hilarité pour le spectateur, car l’humour est glissé avec subtilité dans les dialogues vifs, qui en disent long. « - Quand est-ce que tu te trouves une copine ? – J’en ai une, papa, tu le sais » « C’est comment l’Amérique, Shadi ? – Je vis à Rome… » Le montage est précis, la réalisatrice a le sens du timing et aucune scène ne tire en longueur. Au fur et à mesure, secrets enfouis et blessures du passé vont remonter à la surface jusqu’à une scène de confrontation explosive et magistrale, où se dévoile le nœud de leur opposition, qu’on pourrait résumer en une question : comment vivre sous l’occupation ? Partir ou rester, résister ou se résigner ? Troisième opus d’Annemarie Jacir (Le Sel de la mer), Wajib est porté par deux immenses acteurs palestiniens : Mohammaed Bakri et Saleh Bakri, père et fils à l’écran… et pour de vrai. E.M.
Ma’loul fête sa destruction de Michel Khleifi
(1985, disponible sur Avila)

Ma’loul était un petit village palestinien situé à six kilomètres à l’Ouest de Nazareth. Comme tant d’autres d’autres, il a été envahi puis détruit par l’armée israélienne durant la première guerre israélo-arabe de 1948. De Ma’loul, il ne reste presque rien : les silhouettes voûtées de deux églises à moitié détruites, les ruines de quelques habitations autrefois chéries. Encerclé de barbelés, le site est désormais occupé par une base militaire israélienne, qui n’autorise l’accès au territoire qu’une fois par an, lors du jour de l’indépendance. C’est à l’une de ces occasions que Michel Khleifi a posé sa caméra sur l'ancienne terre de Ma’loul, et interrogé les ancien·nes habitant·es. À son micro, les palestien·nes expriment leur chagrin, mais surtout leur sentiment d’injustice, face à cette vie qu’on leur a volée : “Nos enfants ne savent pas semer le blé. Si nous étions encore à Ma’loul, ils le sauraient”. Plus tard, un père de famille s’inquiète que le village soit définitivement oublié par les nouvelles générations. De quoi rendre d’autant plus précieuses les images de Khleifi, qui contribuent, à leur échelle, au devoir collectif de mémoire. J.D.P.