Connue pour des rôles davantage enjoués dans des comédies américaines comme Pitch Perfect, Anna Kendrick fait ici ses débuts dans la réalisation. Son point de départ étant celui d’un fait divers. Un tueur en série dans les années 70 passe inaperçu dans une émission populaire américaine : The Dating Game. Dans le Los Angeles des pantalons pattes d’éph et de l’American Dream hollywoodien sévit le meurtrier Rodney Alcala. Il sera le gagnant de ce Tournez Manège américain avec la candidate Sheryl Bradshaw, un cœur à prendre face à trois prétendants.
Mais, le film débute loin des projecteurs d’un plateau de télévision et nous présente Alcala photographiant une jeune femme au milieu du désert. Progressivement il s’approche d’elle, devenant de plus en plus oppressant et commence à l’étrangler, la plaque au sol et la tue. Un meurtre frontal sans effet de style posant la chorégraphie récurrente des futurs autres meurtres : l’homme et sa future victime, un malheureux hasard, un lieu isolé laissant au tueur le champ libre de passer à l’action et ça en général lors d’un shooting photo dans le désert. Alcala est un peeping tom¹ hippie capturant les derniers instants de vie de ses futures victimes avec son appareil photographique.
S’ensuit la présentation de notre protagoniste : Anna Kendrick incarne Sheryl Bradshaw, une des cibles du tueur. Une comédienne désabusée qui nous est présentée en plein essai casting et faisant face à toute la déconsidération de deux directeurs. A travers un écran noir on entend : « Y a un truc qui me chiffonne, oui j’arrive pas à la plaindre, elle me touche pas ». Une ambiguïté intéressante pour le spectateur. On ne sait pas encore où se situer entre fiction et sortie de la diégèse. Parle-t-on du meurtre de la jeune fille auquel nous venons d’assister ? La réalisatrice, au-delà d’adapter une histoire vraie à l’écran, se nourrit de cette ambiance hollywoodienne de l’époque pour livrer une réflexion contemporaine autour du métier d’actrice. Cela nous renvoie à notre propre regard critique où chaque performance d’acteur durant un film sera analysée à travers celui-ci. Anna Kendrick, en posant ces petites touches d’autodérision dans sa mise en scène, apporte de l’épaisseur à son récit.
Cette phrase provocatrice, en décalage avec la situation dramatique que nous venons de voir, annonce le ton qu’adoptera le film. Lors de l’émission The Dating Game au sexisme latent, Bradshaw n’hésitera pas à sortir de son rôle « d’idiote » pour reprendre le sien et attaquer avec jouissance la bêtise des candidats auxquels elle fait face. Dans cette ambiance hyper macho, les réflexions ultra lourdes de tous les hommes que rencontre Sheryl nous sortent du récit. La cinéaste ne cesse de nous le rappeler : Les hommes sont mauvais, et ça à tous les coins de rue. Elle dresse des personnages pervers, mal intentionnés et même tout simplement bêtes. Du voisin gênant avec qui Sheryl se sentira obligée de coucher jusqu’à un animateur télé dégradant. Le choix de dépeindre constamment la gent masculine en antagoniste dessert parfois la mise en valeur de cet empowerment progressif chez les personnages féminins. Comme s’il fallait montrer que tous les hommes étaient pourris pour expliciter le déséquilibre entre les sexes. Alors que les femmes du film sont finement écrites et interprétées avec sensibilité, l’environnement que la cinéaste met en place autour d’elles grossi un peu trop le trait de ce fossé entre les genres.
Car Woman of the Hour c’est avant tout, et surtout, les femmes face au sexisme et à la violence des hommes. Pourtant, entre la bande annonce et l’affiche du film toutes deux axées autour de l’émission télé, on aurait pu s’attendre à ce que The Dating Game soit davantage centré sur la confrontation du meurtrier. Cet espoir s’essouffle progressivement au fur et à mesure du film et rend ainsi la construction du récit contre-intuitive, qui voyage sans arrêt dans le temps, entre meurtres successifs pour Alcala et préparation de l’émission pour Sheryl.
Et même si Kendrick fait preuve de réelles intentions de mise en scène avec des moments de tension réussis comme lors de la glaçante confrontation entre Alcala et Sheryl sur un parking vide la nuit après l’émission. On ne sait pas vraiment où le film veut nous mener, laissant le spectateur sur sa faim avec une résolution qui se débarrasse rapidement de son tueur suite à une heure trente de film. La cinéaste introduit de nombreuses thématiques qui ont tendance à s’accumuler plutôt que de se compléter et livre par conséquent un produit pas tout à fait fini. Pour autant on peut féliciter le film de ne pas tomber dans une sublimation du tueur en série à laquelle on ne fait que trop face ces dernières années (cf. Dahmer, Le Serpent…).
¹Peeping Tom (Le Voyeur) de Michael Powell, 1960.
RÉALISÉ PAR : ANNA KENDRICK
AVEC : ANNA KENDRICK, DANIEL ZOVATTO, AUTUMN BEST
DURÉE : 95 MINUTES
PAYS : ÉTATS-UNIS