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Du court au long-métrage : qui a dit que la taille ne comptait pas?

Dernière mise à jour : 22 juil.

Partir un jour d' Amélie Bonnin
© Cinéart

De George Lucas à Amélie Bonnin, de nombreux cinéastes choisissent pour leur premier long-métrage d’adapter leur propre court-métrage. Une fausse bonne idée ?

 

C'est avec Partir un Jour, une comédie musicale d’Amélie Bonnin, que s'est ouvert le Festival de Cannes le 13 mai dernier. Accueilli par une standing ovation de 5 minutes, ce long-métrage, dans lequel Juliette Armanet et Bastien Bouillon poussent la chansonnette, avait peut-être pour certaines personnes du public un petit air de déjà vu. 2 ans plus tôt, la même Amélie Bonnin avait en effet obtenu le César du meilleur court métrage pour...Partir un Jour. Deux films différents donc mais qui ont sont étroitement liés. Et c’est loin d’être l’unique exemple : Madre (2019) de Rodrigo Sorogoyen, THX 1138 (1971) de George Lucas, Whiplash (2014) de Damien Chazelle, ou encore encore Quitter la nuit (2023) de Delphine Girard, de nombreux films ont vécu le même parcours. Alors, pourquoi cette obsession de transformer des courts-métrages en longs-métrages ? Et comment faire pour ne pas s’embourber dans une redite cynique ?

 

Whiplash de Damien Chazelle
© Blumhouse Productions

Adapter son court : l’art des cinéastes qui n’ont plus rien à dire ?

 

Le ton se veut piquant, mais la question a le mérite d’être posée. Adapter son propre court-métrage, est-ce vraiment un acte créatif susceptible d'apporter une vraie plus-value à l’œuvre initiale ? Ou bien est-ce plutôt l’illustration d’un manque d’inspiration ? Coupons court aux tergiversations : tout dépend de l’œuvre en question. 

 

Dans le premier cas, la mise au (long) format d’un court-métrage vise bien souvent à creuser le potentiel sous-exploité voire inexploité d’une œuvre à la durée limitée. Quand on évoque Madre, le court-métrage (d’ailleurs repris comme tel en introduction du long) nous plonge dans l’action, l’urgence de la disparition d’un enfant, alors que sa version étendue a un objectif tout autre : évoquer l’après, les séquelles de ce terrible événement. La version courte fonctionne alors comme une exercice de style, émotionnelle et condensée, quand le long-métrage permet de développer l’univers, de construire la profondeur des personnages, de creuser les enjeux dramatiques. 


Avec Partir un Jour, c’est l’angle qui évolue : ce n’est plus le personnage de Bastien Bouillon qui rentre au bercail mais celui de Juliette Armanet. Ce n’est plus un romancier qui revient sur les traces de son enfance, mais une cheffe étoilée qui retrouve les saveurs de ses débuts.  Enfin, allonger un court-métrage, c’est souvent se donner les moyens… d’avoir plus de moyens. D’autant que lorsqu'un film rencontre le succès en festival, comme ce fut le cas pour Une Sœur (2018) de Delphine Girard, sélectionné aux Oscars et adapté en long-métrage sous le titre Quitter la Nuit, l’attention des producteurs est tout de suite attirée. 

 

Quitter la nuit de Delphine Girard
© Haut et Court

Malgré tout, le risque de tomber dans l’adaptation gratuite et la paresse artistique existe. Il arrive en effet que certaines œuvres au concept initial efficace se voient rallongées pour de mauvaises raisons, sans réelle évolution de l’idée narrative. Si Lights Out (2013) de David F. Sandberg rencontra un vrai buzz sur les réseaux sociaux dans sa version courte, jouant à fond la carte du film d’horreur montagne russe, la transposition de son concept se fait artificielle, sans aucune progression dramatique et se voit même affaiblie par l’ajout d’une sous-intrigue inutile dans sa version de 90 minutes sortie en 2016. En plus de maladresses d’écriture et de réalisation indéniables, impossible de ne pas voir dans ce mauvais choix la volonté du producteur James Wan de capitaliser financièrement sur le succès du film d’origine.

 

Ainsi, la revisite d’une œuvre, originellement pensée pour le circuit court, n’est pas en soi une mauvaise idée. Reste qu’il faut le faire avec une vraie vision, au risque d’accoucher d’une œuvre fade… En voilà un pari risqué !

Babadook de Jennifer Kent
© Causeway Films

Comment bien (s’)adapter ?

 

Pour qu’un cinéaste puisse réussir un tel coup d’éclat, il ne semble pas y avoir de recette miracle. Mais peut-être quelques ingrédients qui, bien dosés, permettent de composer un cocktail intéressant.


Enrichir sans diluer le propos. Prolonger sans trahir l’imaginaire des spectateur·ices. Continuer sans piétiner l’œuvre d’origine. Il semblerait alors que les films les plus réussis sont ceux qui parviennent à préserver la force initiale du court, que ce soit l’antagoniste puissant de Whiplash ou la tension dramatique d’Une Sœur par exemple.

Pour autant, ces œuvres à succès fonctionnent aussi souvent grâce à l’ajout d’une nouvelle dimension, à l’injection d’un supplément d’âme à l'œuvre d’origine, susceptible de donner suffisamment de force, de sens et donc de légitimité au changement de format. Dans la version longue de Madre, le cinéaste espagnol propose une plongée dans l’après-disparition en y adjoignant un changement de ton, laissant au court-métrage le thriller, pour s’engouffrer dans la brèche du drame. De son côté Jennifer Kent a profité de cet ajout de minutes pour étoffer son œuvre d’horreur, Monster (2005), d’un questionnement autour du deuil dans sa version longue, Mister Babadook (2014). Tout semble donc question d’équilibre entre constance et renouveau. 

 

District 9 de Neil Blomkamp
© TriStar Pictures

Le changement de durée oblige enfin à repenser la structure du récit, puisque d’une narration construite souvent en un acte, le long en développe au moins trois. Ainsi, certains films choisiront d’allonger la situation d’exposition pour préciser les enjeux des protagonistes, les obstacles auxquels ils vont être confrontés. Quand d’autres se concentreront sur l’ajout d’arcs secondaires, de retournements de situations susceptibles de donner du rythme au film. Reste que de tels ajouts doivent être utiles et pas gratuits : il s’agit d’étoffer le récit et pas de l’alourdir. C’est ce que Neill Blomkamp a parfaitement réussi lors de la transposition de son court-métrage Alive in Joburg (2005) en long-métrage avec District 9 (2009) dans laquelle il a développé de nouvelles créatures, un questionnement géopolitique plus poussé et une nouvelle intrigue identitaire autour de la métamorphose de son héros.

 

Pour qu’une adaptation de court-métrage en long-métrage en vaille la peine, il faut qu’elle ait une réponse valable à la question : pourquoi ce film doit-il durer plus longtemps ? Un petit test qu’à n’en pas douter, de nombreuses œuvres ne réussiront pas.

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