top of page

L'Étranger : François Ozon secoue la sueur et le soleil

Avec Benjamin Voisin en Meursault, François Ozon relève le défi Camus et nous propose une fresque aussi dépouillée que vertigineuse.


© Athena Films
© Athena Films

L’écriture impénétrable de Camus semblait hors de portée du cinéma. L’Étranger, troisième roman francophone le plus lu au monde, avait résisté aux tentatives d’adaptation pendant près de 60 ans. François Ozon s’y jette à corps perdu. Avec langueur et dépouillement, il s’autorise une relecture sensuelle qui procure le même vertige face à l’absurdité de l’existence.


Un noir et blanc soyeux plante Alger en 1938, et Benjamin Voisin en Meursault. Il a le magnétisme d’un Delon. Charnel et absent, il fume, baise, mange, tue le temps plus qu’il ne vit. Antihéros apathique, il traverse l’écran, le corps suintant et le visage tourné vers le soleil. Ce mélange du froid intérieur et du chaud extérieur résume la tension du film : torride et glacé tout à la fois. La monochromie est un choix pragmatique : la reconstitution historique aurait coûté trop cher. Mais elle s’avère surtout esthétique, intensifiant les contrastes entre lumière aveuglante et ombre intérieure. Les images se suffisent, le vide flotte à l’écran, offrant la beauté sèche du dépouillement.


© Athena Films
© Athena Films

François Ozon a choisi d’ouvrir son adaptation par des images d’archives en Algérie, pour replacer le roman dans son contexte colonial et tenter d’installer une distance critique. Puis il bouleverse l’entrée en matière. Pas de “Aujourd’hui, maman est morte”, mais “J’ai tué un Arabe”, avec l’arrivée directe en prison de Meursault, suivie de flashbacks. La prose de Camus n’apparaît qu’à deux reprises, comme des éclats de conscience dans le néant. Un éveil du personnage à lui-même. La réalisation qu’il était jusqu’alors étranger à sa propre vie. 


Mariage ? Culpabilité ? Deuil ? Tout ça n’a pas de sens. Sur la plage, l’ennui devient lancinant, presque érotique. La passivité prend chair. L’honnêteté brute de Meursault déroute et remet en question les masques sociaux. Tout se joue dans les silences, les gestes, les regards, la répétition des “je ne sais pas” qui giflent la face du monde


© Athena Films
© Athena Films

Comme souvent, le réalisateur fait confiance à ses acteurs. Benjamin Voisin porte le film, imposant une présence à la fois indéchiffrable et claire comme de l’eau de roche. Au spectateur d'aller gratter derrière. Résultat : le film, pareil au livre, est à la fois très simple et très complexe. Son exigence de lenteur, son élégance hypnotique, son refus du spectaculaire, en font une œuvre qui réclame une lecture active.


La tentative de François Ozon a quelque chose d’audacieux, presque suicidaire : adapter l’absurde, filmer l’indifférence, donner un corps au vide. C’est dans cette contradiction que réside sa force. Comme dans la chanson Killing an Arab de The Cure, qui résonne en écho lointain pendant le générique de fin. Le roman de Camus devient une matière à réinterprétation, une brèche à jamais ouverte.



Avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin, Swann Arlaud. France/Belgique, 122 minutes. 

bottom of page