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Rencontre avec Ugo Bienvenu pour Arco : "Dans mon travail, je fais beaucoup confiance à mon inconscient"

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

© Belga Films
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Fable écologique, voyage temporel, parabole enfantine : Arco est l’un des films d’animation qui a le plus fait parler de lui cette année. Présenté à Cannes puis couronné du Cristal (la plus haute récompense) du long métrage à Annecy, plus grand festival d’animation au monde, c’est de pied ferme que Arco aborde la course aux Oscars. Avec un petit détour par le Festival de Gand, où nous avons eu la chance de rencontrer son réalisateur, Ugo Bienvenu. Avec lui, nous avons échangé sur les coulisses de ce projet au long cours, sur la coproduction avec Natalie Portman, et sur la manière dont l’animation est perçue aujourd’hui en France. 


Pour commencer, pourriez-vous nous parler de la genèse de ce projet? 

Arco est officiellement né en 2020, même si cela faisait déjà un ou deux ans que j’y réfléchissais. Après la sortie de ma bande dessinée Préférence Système en 2019, j’ai reçu de nombreuses demandes d’adaptation, mais cela ne correspondait pas à mes envies. Pour moi, le cinéma mérite des histoires originales, et je me suis donc mis en tête de créer ce récit. Entre l’envie et l’idée, il y a toujours un monde, mais c’est en repensant aux films de mon enfance qui m’avaient marqué que j’ai eu envie de construire cette histoire à hauteur d’enfant. Au-delà de ce premier aspect, je voulais également une histoire de science fiction positive, pour contraster avec la négativité qui prime dans ce genre. De ces réflexions est né Arco, mon personnage, et c’est mon associé Félix de Givry qui m’a fait remarquer que Arco était un héros de long métrage d’animation.


© Belga Films
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Passer d’un croquis à un long métrage d’animation, ce n’est pas un chemin facile. Comment cette idée a-t-elle évolué et comment le projet a-t-il réussi à aboutir?

Dans mon travail, je fais beaucoup confiance à mon inconscient. Dès que j’essaie d’être “intelligent” ou de trop penser un processus, cela ne fonctionne pas. Je préfère donc dire que ce récit a abouti parce que j’ai suivi mes personnages et parce que le film m’a indiqué son propre chemin. Cela fait quinze ans que je travaille dans ce secteur, et j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer plein d’artistes différents. Pouvoir continuer le développement de ce microcosme au travers de ce projet, cela m’a permis de mettre mon énergie au service de cette idée. Pour moi, l’artiste est un vecteur, et que l’univers nous envoie des tâches, que nous réalisons ou non, selon nos possibilités.


Arco, c’est une coproduction avec Mountain A, la société co-fondée par Natalie Portman. Comment en êtes-vous arrivé à collaborer avec cette actrice-productrice de renommée internationale?

Pour produire un long métrage d’animation en France, il faut être inventif et original dans la construction de ses financements. Mais de notre côté, le projet n’arrivait pas à séduire les producteurs français. Il y avait comme un plafond de verre qui nous empêchait de passer à l’étape suivante. C’est à nouveau Félix qui nous a aidé à sortir de cette impasse, et qui nous a lancé sur l’idée un peu folle de réaliser une animatique [en animation, l’animatique est un storyboard découpé et animé qui sert de base à la réalisation du rendu final, NDLR] avec musique, car notre compositeur travaillait déjà sur le film. Nous avons mis toutes nos économies dans le projet, et au bout de six mois, nous avions 45 minutes de film à présenter. Il se trouve que notre agent est aussi celui de Natalie Portman, et qu’elle venait de monter sa société. Elle est venue dans notre bureau voir le film, et à la fin de la projection nous a demandé “de quoi avez-vous besoin”? In fine, c’est cette animatique, ce pari financier qui nous a permis d’emporter tout le monde sur ce projet, même si tout ne s’est pas construit en un jour, loin de là.


® Belga Films
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Dans Arco, vous oscillez entre futur lointain et futur proche, qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de ces temporalités? 

Les histoires que j’aime ont toujours été celles qui provoquaient de l’émotion chez moi. Quand j’étais enfant, ces films m’ont fait rire, pleurer, ou m’ont fait peur, mais ils ont surtout fait confiance à mon intelligence d’enfant. L’idée de double futur est née de cette envie de vérité, de franchise. Pouvoir dire aux jeunes : en effet, vous êtes nés dans un monde qui ne va pas très bien, et demain n’est pas très positif. Mais si nous faisons à nouveau confiance à nos envies, à notre magie, peut-être qu’on pourra sauver ce monde. Le film porte ce message, cette idée de se reconnecter au vivant et de construire un monde meilleur. 


Qu’est-ce que vous aimeriez que les spectateurs emportent avec eux, à la sortie de votre film? 

Face aux dangers qui nous menacent, au réchauffement climatique, la solution est selon moi de se reconnecter à notre magie intérieure, à notre poésie, à notre art et à nos émotions. Ce sont des signes du vivant, dans un monde de calcul, d’équations et d’algorithmes. Arco, c’est cela que le film raconte : faire confiance aux petites choses, à ces petits dessins qu’on fait en bas de page, et c’est ce qui nous permettra de survivre. 


® Belga Films
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Une dernière question : il y a peu, un journaliste du magazine Télérama signalait son étonnement face à la sélection d’Arco dans la shortlist des films qui pourraient représenter la France aux Oscars, “parce qu’il s’agit d’un film d’animation”. Qu’est-ce que cela dit selon vous sur la conception de l’animation française aujourd’hui?

Au sujet de cette nomination, j’avoue être déçu à deux égards. D’une part, parce que je pense qu’il aurait été courageux de la part du jury d’envoyer un long métrage d’animation pour représenter la France aux Oscars. C’est un genre qui s’exporte, qui rapporte beaucoup à l’étranger, et notamment (mais pas que) au travers des films d’auteurs. 

Et d’autre part, parce que je trouve qu’il commence à être compliqué pour la France d’envoyer des films réalisés par des réalisateurs étrangers. Que les choses soient claires, je suis très content pour Jafar Panahi et pour son producteur Philippe Martin, un ami, mais on ne peut pas continuer à défendre notre exception culturelle, notre industrie et nos talents avec de tels choix. 

Choisir Arco, cela aurait été un choix moderne, audacieux, et une reconnaissance pour l’industrie de l’animation française qui compte énormément de personnes en France. Nous sommes la deuxième industrie mondiale derrière le Japon. D’autant plus que le secteur ne va pas très bien en ce moment, et cela aurait pu être un vrai électrochoc. Mais comme d’habitude, ils [le comité] ont décidé de faire un choix plan-plan qui emmerde tout le monde. Désolé. 



Arco sort dans les salles le 29 octobre. Retrouvez notre critique dans la revue, et sur Surimpressions.be

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