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Elli Mastorou

Les Belges à Hollywood

L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir, et je l’aurai… »  Si pour certains le rêve américain est ringard comme une chanson de Joe Dassin, pour d’autres tourner aux États-Unis sera toujours symbole de consécration - surtout si c’est pour un studio hollywoodien ! Du plat pays aux collines de Los Angeles, le grand écart n’est pas seulement géographique… Mais réaliser un film à Hollywood est-il vraiment une garantie de succès ? Combien de cinéastes belges peuvent se targuer d’avoir « eu » l’Amérique ? 

« Faire du cinéma, c’est accepter que les choses vous échappent » déclarait Alain Berliner. En 1998, le réalisateur décroche le Golden Globe du meilleur film étranger pour Ma vie en rose, ce qui lui ouvre les portes du marché hollywoodien. Parmi les scénarios reçus, il choisit D'un rêve à l'autre (Passion of Mind), avec Demi Moore dans le premier rôle. Le film est malheureusement un échec. « Aux USA, on travaille davantage dans un rapport de force entre patron (studio) et employés (réalisateurs, acteurs). En Europe, on est plutôt dans une position d’artisan qui fait sa petite popote. »


Même son de cloche chez Michael R. Roskam : « Le professionnalisme et l’amour du métier sont les mêmes [aux USA, NDLR], mais si en Belgique faire un film donne encore le sentiment de faire quelque chose de spécial et de créatif, ici, c’est avant tout un travail, et les syndicats sont redoutables » déclarait-il à Studio Ciné Live en 2014 sur le tournage de The Drop. Nommé aux Oscars pour Rundskop (Bullhead en version US), le réalisateur flamand a été repéré par les studios : produit par Fox Searchlight, The Drop (Quand vient la nuit) réunissait Matthias Schoenaerts, Noomi Rapace, Tom Hardy et James Gandolfini. Depuis, Roskam alterne entre les USA (Black Bird pour Apple TV) et le plat pays : après Le Fidèle (2017), son prochain projet devrait être Le Faux Soir, toujours avec Matthias Schoenaerts.


C’est aussi une nomination aux Oscars qui a mené Felix Van Groeningen à tourner Beautiful Boy, avec Steve Carell et Timothée Chalamet. Grâce à The Broken Circle Breakdown (oubliez le titre « français » Alabama Monroe par pitié), et peut-être aussi la victoire au festival de Sundance de son film suivant, Belgica, le cinéaste flamand a rencontré Brad Pitt via sa boîte de production, Plan B, et c’est avec celle-ci que le film a été produit. Quatre ans plus tard, il revient en Europe pour Les Huit Montagnes, film franco-italo-belge co-réalisé avec Charlotte Vandermeersch, Prix du Jury à Cannes en 2022. 


Un succès local peut mener à un succès international : en 2008, le carton du film flamand Loft d’Erik Van Looy (avec Matthias Schoenaerts, natuurlijk) tape dans l’œil d’Anonymous Content (Babel, Eternal Sunshine of the Spotless Mind). Un remake US, avec Schoenaerts mais aussi Karl Urban et Wentworth Miller, verra le jour en 2014, aussi réalisé par Van Looy. Ce dernier est ensuite revenu en Belgique pour tourner De Premier.



On peut aussi citer Message from the King, avec feu Chadwick Boseman et Luke Evans en têtes d’affiche, un thriller signé Fabrice du Welz (Calvaire), qui lui fut commandé par le producteur de Drive, David Lancaster : « Le système est très particulier. Tout est régi par les syndicats. Le mien, la Director’s Guild, prévoit 10 semaines de montage libre. (…) [Ensuite] les producteurs décident ou pas de l’utiliser, de le changer avec toi ou de simplement te dégager. C’est très violent » commente le réalisateur. 


Mais impossible de parler d’aventure américaine sans citer Adil El Arbi et Bilall Fallah. Dès leurs premiers opus, Image et Black, on sentait toute l’influence du cinéma US chez ce duo anversois. En 2016, ils tournent des épisodes de série pour des chaînes américaines, et en 2020, repérés par le célèbre producteur Jerry Bruckheimer, ils signent Bad Boys For Life (Columbia), reprenant la saga de Michael Bay, avec Will Smith et Martin Lawrence. Rien que ça. Mais la médaille a aussi ses revers : en 2022, leur Batgirl est annulé par DC alors que le film est déjà tourné. Adil et Bilall reviennent en Europe pour Rebel, présenté à Cannes en 2022, mais n’en resteront pas là, puisque Bad Boys 4 débarque sur nos écrans ce 5 juin… 


Nul n’est prophète en son pays, mais c’est souvent grâce à un succès national que les Belges ont tourné aux USA. Cependant, et en toutes circonstances, le constat est sans appel : quand on parle de Belges à Hollywood, on parle d’hommes – et surtout flamands. Chantal Akerman est l’exception qui confirme la règle : si elle n’a pas été jusqu’à Hollywood (imaginez un remake US de Jeanne Dielman ?), elle a tourné à New York une fiction (Un divan à New York) et plusieurs documentaires (Hotel Monterey, News From Home, Histoires d’Amérique). Et certaines compatriotes l’ont suivie depuis : Dreaming Walls (2022) d’Amélie Van Elmbt et Maya Duverdier a pour producteur exécutif un certain Martin Scorsese… 


Comment expliquer la prépondérance de la Flandre ? « Déjà, on est très axés sur la culture anglo-saxonne » avance le critique cinéma flamand Lieven Trio. « A cela s’ajoute une dimension linguistique : on regarde les films et séries en VOST, donc on a sans doute plus de « feeling » pour les dialogues, les façons de jouer en anglais… Et puis il me semble que le niveau d’anglais est en général plus élevé en Flandre qu’en Wallonie. A côté de ça, j’entends souvent qu’en Flandre les réalisateurs ont l’habitude de faire beaucoup avec peu. Pour les studios c’est très intéressant – surtout dans une période de crise comme ces dernières années. Des cinéastes qui savent optimiser un budget limité, ça peut attirer Hollywood. »


Entre les tournages belges « à la bonne franquette » et le système balisé des USA, l’écart est si grand que certains s’y sont cassé les dents. D’autres en redemandent, comme Adil et Bilall, qui sont peut-être ceux qui ont le mieux réussi l’entre-deux. Issus d’une jeune génération, trilingues flamand-français-anglais, ils sont habitués à jouer sur plusieurs tableaux – et puis, c’est un duo : deux têtes valent sans doute mieux qu’une face aux studios. Peut-être qu’un jour, des réalisatrices belges tenteront l’expérience aussi : après tout, nulle n'est prophétesse en son pays…


 





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