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Rattrapages 2024 : Nos coups de cœur de l'année

L'équipe de Surimpressions

Alors que l’année vient de se terminer, l’équipe de Surimpressions a voulu revenir sur quelques longs-métrages qui ont marqué 2024. Une sélection de huit films “coups de cœur”, mené par les affects de chacun, et qui revendique sa subjectivité. 


Quentin Moyon : La jeune fille et les paysans de DK et Hugh Welchman

© Breakthrufilm

Devant le nouveau film du duo DK et Hugh Welchman, le choc fut pour moi avant tout visuel. À l’image de leur précédent film, La Passion de Van Gogh, l'œuvre fait sienne le procédé de la rotoscopie - les 80 000 plans du film ont été tournés avec de vrais acteurs, puis reproduits à la peinture à l’huile par 100 peintres. Le tout, en s’inspirant d’artistes contemporains à l’histoire qui nous est racontée, comme les polonais Józef Chełmonski ou Julien Falat. Une œuvre hybride, mi-peinture mi-pellicule, qui n’est pas qu’un contenant. Adaptation du roman culte en Pologne Les Paysans (1904-1909) de Władysław Reymont (Prix Nobel de littérature), le film est une plongée dans la Pologne rurale du XIXe siècle, au travers de la trajectoire de Jagna reputée plus belle femme du village, et de sa descente aux enfers sur fond de déception, violence et abandon. Le récit, peinture vivante d’un ancien temps heureusement révolu, invoque la figure de cette femme qui rejette les traditions et renverse l’ordre établi - une sorcière ? - pour subtilement brosser le portrait d’un monde contemporain profondément inégalitaire. 


Elli Mastorou : Bye Bye Tibériade de Lina Soualem

© Beall Productions

« Ma mère m’a transmis un bout de langue » confie Lina Soualem en voix off, tandis que les images de son enfance défilent sur l’écran. On l’y voit, petite, jouer avec sa mère, ses tantes et sa grand-mère dans le village palestinien de Deir Hanna. Un village que sa mère a quitté à la vingtaine pour poursuivre son rêve d’actrice. Le rêve s’est réalisé : Hiam Abbass est aujourd’hui une comédienne internationale et renommée (Paradise Now, Munich, Blade Runner 2049, Succession…). Mais qu’a-t-elle laissé derrière elle ? C’est pour y répondre, et renouer avec la langue et l’histoire maternelles que Lina Soualem signe ce documentaire, au croisement de l’hommage, du témoignage historique et du portrait de famille. Dans Bye Bye Tibériade la caméra brise les non-dits, fixe la mémoire, questionne le passé. À partir d’images d’archives, de vidéos de famille et de moments au présent, Lina retrace l’histoire de sa mère et de ses aïeules, remontant le temps. À travers elles se dessine l’histoire d’un pays, marqué par la colonisation et l’exil forcé. Mais un pays qui se tient droit, un pays qui n’oublie pas. Un film sensible et poétique, intime et politique, à la fois rempli de deuils et débordant de joies.


Simon Lionet : Anora de Sean Baker

© Universal Pictures

Dans un New York que ne renierait ni le William Friedkin de The French Connection ni les frères Safdie, une jeune travailleuse du sexe nommée Anora fait la rencontre de Vanya, fils d’oligarques russes qui ne vont pas digérer cette union et tout faire pour les séparer. Amoureux des personnages en marge de la société, Sean Baker (The Florida Project, Red Rocket) continue sa déconstruction de l’American Dream avec cette revisite moderne et cruelle de Cendrillon, où la naïveté et les happy end des contes de fées n’existent pas. Avec un jonglage constant entre les genres, passant de la romance à la comédie burlesque ou au film de gangsters, le réalisateur américain livre une œuvre frénétique (parfois boursouflée) qui tire sa force de la prestation insensée de Mickey Madison. Alors oui Anora, c’est certainement trop long d’une demi-heure, ça pèche parfois dans l’écriture de ses personnages (on souffle fort devant le personnage de riche femme sévère et dominante) mais quand Baker et son actice principale stoppent le grand huit dans une ultime rupture de ton, c’est pour mieux nous administrer l’une des conclusions les plus belles et déchirantes de l’année. Palme du cœur !


Camille Wernaers : Le Procès du chien de Laetitia Dosch

© Distri7

Véritable ovni dans la programmation 2024, Le Procès du chien, premier film de la réalisatrice française Laetitia Dosch (qui joue également avec entrain le rôle d’Avril, avocate des causes perdues), est venu questionner les dominations de nos sociétés, avec un sous-texte écoféministe. Place des femmes dans la société, harcèlement sexuel, négligence envers les enfants et, bien sûr, violences faites aux animaux sont passées au crible d’un scénario qui déploie l’histoire, inspirée de faits réels, de Cosmos, un chien qui a mordu des gens plusieurs fois et qui est condamné à être euthanasié. Dariuch (interprété par François Damiens) demande alors à Avril de défendre son fidèle compagnon. En travaillant sur cette affaire, elle va mettre en exergue les liens entre les êtres humains et le vivant, mais aussi l’incompréhension humaine face à ce qui est considéré comme « différent ». Le film surprend aussi par sa forme poétique, qui survient à des moments inattendus : lorsque Avril éconduit un homme qui l’aborde, lorsqu’elle prépare sa dernière plaidoirie ou quand l’image prend le temps de se perdre dans les grands yeux, très expressifs de Cosmos (mention spéciale à son interprète, Kodi). Je suis passée du rire au larmes sans même m’en apercevoir. 


Thibault Scohier : Blue Giant de Shinichi Ishizuka

© Eurozoom

Le monde du jazz ressemble à une montagne immense. On peut l’admirer de loin ou essayer de l’escalader jusqu’au sommet ; c’est le cas du jeune Dai qui, armé de son saxophone, rêve de vivre de sa musique. Adapté du seinen (récit pour jeunes hommes) éponyme de Shinichi Ishizuka, le long-métrage d’animation Blue Giant profite et souffre des défauts de tous les récits basés sur le nekketsu, forme de récit d’apprentissage très utilisé dans l’industrie du manga et de l’animé au Japon. Dai doit en effet affronter une série d’obstacles, chaque difficulté surmontée le révélant à lui-même, jusqu’à la prestation finale, forcément magnifiée par le chemin parcouru. Mais si la recette est à la fois efficace et attendue, elle s’inscrit dans l’écrin d’une animation superbe, dynamique et qui devient totalement libre pendant son climax. On sent que le réalisateur, Yuzuru Tachikawa, se repose sur son travail d’animateur pour le très coté studio Mappa et sur Mob Psycho (une des meilleures séries de ces dix dernières années). Avec la pianiste de jazz Hiromi à la bande originale, l’ensemble réussit merveilleusement à capter la puissance de la musique et à nous emporter dans des montagnes russes de plaisir et de mélancolie.


Kévin Giraud : Knit’s Island de Barbier, L'Helgouac'h et Causse

Étrange documentaire que ce Knit’s Island du trio Ekiem Barbier, Quentin L'Helgouac'h, Guilhem Causse. Entièrement tourné dans le jeu vidéo survivaliste DayZ, dont l’univers rappelle les larges étendues désolées de The Last of Us ou l’Amérique hostile de Civil War, le film dégage une atmosphère qui oscille entre attendrissement et terreur pour les personnes que rencontrent le trio de documentaristes, au fur et à mesure de leurs pérégrinations et de leurs rencontres. Car dans cet univers où règne la loi du plus fort, les êtres se rassemblent et se ressemblent dans leur besoin de communauté et leur recherche de sens. Tantôt autour de la violence comme exutoire, tantôt autour de la reconstruction comme pansement collectif à des blessures bien réelles. Témoins actifs de cette odyssée virtuelle qui dépasse souvent la réalité morose de ces joueur·euses invétéré·es, les cinéastes créent un objet filmique unique d’une grande puissance évocative. Une œuvre dont les images comme les personnages vous hantent, à mi-chemin entre fascination et épouvante face à ces démonstrations d’(in)humanités débridées.


Adrien Corbeel : Challengers de Luca Guadagnino

© Warner Bros

Mon film préféré de 2024 s'appelle La Bête, et il a été réalisé par Bertrand Bonello. Mais mon coup de cœur de l'année, le film qui m'a fait palpiter plus que les autres ? Cet honneur revient à Challengers. Je fus pris de court : fort peu adepte de Call My By Your Name, de Suspiria et des autres productions de Luca Guadagnino, je n'étais pas du tout prédestiné à aimer son film sportif porté par Zendaya, Josh O'Connor et Mike Faist. D'autant plus que le cinéaste y pousse ses effets de style à leur paroxysme, usant et abusant de tout ce que la caméra et le montage permettent. Mais sa démarche survoltée et jusqu'au-boutiste a eu raison de moi. Étirant au maximum la tension sportive et érotique entre ses trois personnages, le film fait de leur triangle amoureux un spectacle sensuel et sensoriel absolument grisant. La bande-son n'est sans doute pas pour rien dans mon enthousiasme : depuis la sortie du film, les pulsations électro de Trent Reznor et Atticus Ross tournent en boucle dans mes oreilles. 


Julien Del Percio : Los Delincuentes de Rodrigo Moreno

© Wanca Cine

Métro. Boulot. Dodo. Trois mots simples qui caractérisent avec clairvoyance notre asservissement routinier et morose à la grande machine capitaliste. Mais n’y a-t-il aucun moyen d’en réchapper ? Moràn, le protagoniste de Los Delincuentes, pense que si. D’ailleurs, il a un plan : voler l’équivalent de trente ans de salaire à sa propre banque, se livrer à la police et cacher l’argent chez son complice Romàn le temps de purger une peine de trois ans de prison. À partir de cette idée saugrenue, le cinéaste argentin Rodrigo Moreno va dessiner une fable protéiforme et solaire, parcourue d’une douce anarchie. Moins passionné par le braquage que par les trois années d’attente qui lui succèdent, le récit se détourne du polar et bifurque progressivement vers de merveilleux à-côtés  - une romance champêtre, une rêverie nostalgique, des parenthèses musicales. Un affranchissement des tonalités et des genres tout à propos pour accompagner ces deux delincuentes dans ce merveilleux périple universel : la reconquête de la liberté.

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