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Rencontre avec Bérénice Bejo : "Je voulais jouer une femme qui pense au-delà d'elle-même"

Dans Mexico 86 du réalisateur belgo-guatémaltèque César Díaz, Bérénice Bejo devient Maria, une militante révolutionnaire guatémaltèque qui vit depuis des années exilée à Mexico, où elle poursuit son action politique alors même que son fils de 11 ans la rejoint. Une ode à la liberté et au refus du choix entre parentalité et engagement, pour un rôle puissant et inspirant. Rencontre.

Mexico 86, de César Diaz
© O'Brother Distribution

Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ? 


J’ai rencontré César Díaz autour d’un déjeuner un peu informel, et nous avons vite réalisé que nous avions de nombreux points communs. On n’a pas arrêté de parler de nos familles, des secrets, de la dictature, et de ces pays sud-américains dont l’histoire est si mal connue. Moi-même, je savais qu’il y avait eu une dictature au Guatemala, mais je n’avais aucune idée d’à quel point elle avait été sanglante, une des pires de l’histoire de l’Amérique latine. Je me suis beaucoup documentée avec César, au travers de documentaires, de musées sur place, et j’ai vraiment appris beaucoup de choses. En Europe, on connaît bien Pinochet et la dictature chilienne, un peu celle de Videla en Argentine. Mais après ? 


Vous avez quitté l'Argentine à l'âge de 3 ans. Est-ce que le film vous a permis de faire un lien avec votre passé ? 


En tout cas, ayant une famille qui a vécu la dictature, où c’est un thème qui reste présent, cela a été un point d’ancrage pour rentrer dans ce scénario et dans ce récit, sans pour autant que ce soit mon histoire. De manière générale, quand on joue des rôles, il y a toujours des choses personnelles qui entrent dans le personnage de fiction.

Mexico 86, de César Diaz
© O'Brother Distribution

Quel a été le plus grand défi de ce projet ? 


Pour commencer, il y a la langue. Je parle l’argentin mais avec un accent français, or le personnage de Maria est guatémaltèque et vit au Mexique où elle est réfugiée. C’est toujours délicat d’interpréter un personnage ayant existé, tiré d’une histoire vraie, d’un pays qui n’est pas le vôtre. J’ai eu des doutes, des questionnements sur le fait de me choisir moi pour ce film, n’étant pas guatémaltèque. Ce travail a représenté un énorme challenge, j’ai beaucoup travaillé pour gommer mon accent français, afin d’avoir l’accent le plus neutre possible. Et en même temps, je comprends aussi le choix de me prendre moi en tant qu’actrice pour porter ce film, et parler de ce sujet. Nous vivons dans un monde tellement fragile, et faire partie de ce récit féministe d’une femme résistante et engagée, c’était vraiment important. 


Qu’est-ce qui vous a attiré dans le personnage de Maria ?


Pour Maria, l’engagement est une question de vie, c’est un personnage qui préfère s’engager et mourir avec le fusil à la main plutôt que de passer sa vie à se cacher et à avoir honte de ne pas s’être battue. Et je trouve qu’aujourd’hui, dire que les femmes peuvent aussi s’engager, que c’est difficile pour elles mais qu’elles peuvent le faire, c’est cela qui m’a plu dans le récit de César. Pouvoir insuffler cette énergie, parler de ces femmes, et de cette résistance que personne ne fait de gaieté de cœur mais dans laquelle tant les hommes que les femmes s’engagent, c’est crucial aujourd’hui. C’est un film qui n’est pas romantique, qui ne met pas la femme résistante sur une bicyclette pour passer des mots doux. En fait, c’est une femme qui se sacrifie au même titre qu’un homme, et c’est rare de voir des films où ce sont des personnages féminins qui font face à ce dilemme, et je trouve que c’est beau de le raconter. 

Mexico 86, de César Diaz
© O'Brother Distribution

Les relations que vous construisez à l’écran, tant avec votre compagnon qu’avec votre mère, sont très finement interprétées, avec toujours ce refus de choisir entre le statut de Maria en tant que parente, et Maria en tant que résistante…


C’est intéressant de dire qu’elle refuse de choisir, parce qu’en fait ce n’est pas un choix qu’elle fait, elle ne peut pas faire autrement. Mais en effet, à la fin elle ne choisit pas. Et d’une certaine manière, c’est aussi ce qui m’a poussé vers ce personnage. Une femme ayant le courage de voir au-delà d’elle-même. Lorsque, avec l’équipe, nous nous sommes engagés sur ce film, on ne pensait pas que le monde irait si mal aujourd’hui, et qu’on se retrouverait peut-être un jour dans la même situation que Maria. Mais c’est aussi à travers tous ces questionnements et ces sujets que j’ai pu, en tant qu’actrice, toucher du doigt ce personnage. 


Qu’est-ce que vous espérez transmettre avec ce film ? 


Donner aux femmes des histoires qui leur permettent de rêver à des possibilités. De se dire que c’est possible de s’engager d’une manière ou d’une autre, défendre une liberté, une certaine liberté d’expression, la démocratie… On n’est pas que mère ou “femme de,” on est aussi un être humain et en tant que femme, on peut aussi se battre et s’engager. Créer des histoires qui donnent envie de ressembler à ces personnages. Aujourd’hui, quand je pense à ma fille, je sais que pour elle, il est possible de faire n’importe quel métier. Et c’est grâce à des films qui ont mis en avant des femmes footballeuses, médecins, avocates, bref pas que des récits où les femmes font la cuisine, servent à manger, élèvent les enfants et nettoient le linge. En fait, des films comme Mexico 86 permettent d’exprimer aux femmes qu’il y a d’autres histoires possibles. Et c’est d’autant plus nécessaire dans un monde où réapparaissent des formes de gouvernement très conservateurs, et où l’on voit que les avancées pour les droits des femmes peuvent reculer très vite. Il faut encore se battre. 


En parlant de films qui inspirent, avez-vous un souvenir de cinéma à nous partager ?


J’ai grandi avec des parents très cinéphiles, et donc mes premiers souvenirs, ce sont les films de Frank Capra, ou ces films des années 1940 avec des personnages féminins un peu farfelus mais toujours avec beaucoup de personnalité, très charismatiques. Récemment, j’ai présenté Laura de Otto Preminger dans le cadre d’une carte blanche, et c’est une œuvre avec un personnage féminin extraordinaire. C’est un film qui parle à la fois d’amour, de fascination, de trahison, un film très riche thématiquement, et qui m’a fait rencontrer Gene Tierney, une actrice qui a par la suite fait des films plus incroyables les uns que les autres, avec des personnages féminins forts. Présenter ce film aujourd’hui, en pleine tournée pour Mexico 86, c’est cohérent. 



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