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Vingt Dieux : rencontre avec la réalisatrice Louise Courvoisier

Héléna Tostain

Dernière mise à jour : 14 janv.

À travers une comédie agricole dans le Jura, Louise Courvoisier dresse pour son premier long-métrage le portrait du jeune Totone, 18 ans, qui suite à la mort brutale de son père se retrouve livré à lui-même avec sa petite sœur Claire. Totone est grande gueule, fêtard, impulsif et ce joyeux mélange l’amène à la conquête du concours du meilleur comté avec à la clé une récompense de 30 000 euros. Le plan idéal pour s’en sortir. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Avec ce portrait juste et tendre de cette région qu’elle connaît si bien, la réalisatrice nous offre une histoire entre rire et émotion. Rencontre.

©Pyramide Films
© Paradiso Film

Totone est parfois traité de « cassos » dans le film. L’histoire traite du milieu rural et du fait de vivre en périphérie, ça tient à quoi de ne pas tomber dans le misérabilisme quand on aborde ce genre de thèmes au cinéma ?  


Je pense que ça tient au fait de connaître très bien son sujet ou non. J’avais envie d’un film sans jugement, un peu horizontal. J’avais pas envie d’un ton moralisateur, ni d’être écrasante sur les personnages ou sur ce qu’ils vivent. Je voulais montrer les endroits qui débordent comme les endroits de vulnérabilité, un peu tout. Dans la nuance et dans les contrastes on trouve un spectre un peu plus large de l’humain et on sort d’une vision de pitié envers les personnages. J’avais envie d’un film lumineux où on les fait entrer vraiment dans des fictions. C’est pas des personnages de documentaire. Ils sont dans une dimension d’aventure, avec des moments d’humour. C’est en se permettant de sortir du drame qu’on trouve le regard qui me semble juste sur eux. 


Vos personnages sont jeunes, à la fois perdus et déterminés, qu’est-ce qui vous intéresse dans cet âge de l’entre-deux ?


Justement, cet âge-là est plein de contradictions. Entre beaucoup de vulnérabilité, en même temps de la violence, une perte de confiance en soi, une nouvelle direction de vie… Tout cohabite alors qu’après les choses s’éclaircissent. C’est un moment où tout est possible et en même temps ils sont dans une phase de bascule. C’est ça qui m’intéressait, j’aime bien qu’il soit en même temps très mûr à plein d’endroits et à d’autres encore plein de naïveté. Je le voyais en casting que c’était cet endroit précis qui m’intéressait, à vingt ans c’était déjà différent.

© Paradiso Film

Les personnages sont interprétés avec beaucoup de justesse par des acteur·ices non professionnel·les. Comment appréhendez-vous la direction d’acteur·ices, quand ils ne sont pas familiers avec le milieu du cinéma ?


Ça se joue beaucoup sur une base de confiance entre moi et eux, d’apprendre à se connaître très bien. J’avais pas de méthode en fait, je savais pas comment j’allais faire, donc j’ai improvisé totalement. Comme j’ai participé activement au casting, j’ai pu déjà comprendre à qui j’avais à faire. Notamment en travaillant lors des répétitions. Je me suis adaptée à chaque personnalité, chaque acteur. Très rapidement, eux m’ont fait confiance sur le fait que c’était moi qui avait la responsabilité finale et qui guidait. Ils se laissaient faire et ça me permettait de pouvoir composer tout en les mettant dans un endroit de confort et pas de responsabilité. Mais c’était beaucoup de pression pour moi parce que je ne pouvais pas compter sur eux pour proposer des choses, mais ils arrivaient avec un naturel qui permettait d’amener les personnages à un endroit aussi plus intéressant. Donc il y a vraiment des moments où c’est plus difficile que si on travaille avec des acteurs professionnels mais il y a des moments où c’est aussi tellement plus facile. J’ai jamais envisagé autre chose de toute façon pour ce film, je savais que j’allais travailler avec des non professionnels. 


Dans le film vous posez le thème du deuil à travers la perte d’un parent, qu’est-ce qui vous intéresse dans cette thématique ? 


J’avais envie de le raconter d’une manière un peu atypique. Chez moi on a un rapport beaucoup plus frontal à la mort. Il y a justement beaucoup d’accidents de moto, de voitures, l’alcool lié à la route tout simplement. Beaucoup de suicides aussi, de gens qui meurent un peu tout le temps. J’ai grandi avec ça puis je me suis rendu compte en allant faire mes études que les gens de mon âge qui ont grandi en ville n'avaient pas du tout le même bagage que moi vis-à-vis de ça. Je trouvais ça intéressant de parler de la mort. Elle n’est pas banalisée mais juste beaucoup plus présente et omniprésente aussi. Je ne voulais pas la traiter de manière classique par quelque chose de justement assez dramatique, rentrer dans une expression des sentiments. Au contraire j’ai beaucoup observé la pudeur émotionnelle, des sentiments, le fait de ne pas s’exprimer, de ne pas savoir comment faire. Lorsqu’on n’a pas les codes pour savoir ce qu’il nous arrive, comment le gérer, on finit par tout verrouiller. La fragilité ressortira ailleurs, dans des moments comme des déceptions amoureuses, à d’autres endroits. On peut vivre quelque chose de très violent et ne pas savoir comment réagir à ce moment-là et s’effondrer à un moment qui peut paraître anodin, anecdotique. C’est ça qui m’intéressait, de placer ce deuil à un autre endroit que là où on a l’habitude de le voir, ça me paraissait plus juste par rapport à la région que je dépeins. 

© Paradiso Film

Vous dressez le portrait d’une sexualité maladroite pour le personnage de Totone et la rencontre de Marie-Lise va changer beaucoup de choses. Comment traite-t-on de sexualité sans pour autant sexualiser ses personnages ?


Je n’avais pas envie de mettre de la sensualité dans les scènes d’intimité. On en a vu dix mille et c’est toujours la même chose, on sexualise le corps des femmes, on a l’impression d’être dans une bulle de love où l’on voit les corps en sueurs. On représente l’amour comme ça mais pour moi c’est désincarné et très loin des expériences qu’on vit, en particulier à cet âge-là mais même tout le temps. Ce rapport au corps où on ne connaît pas celui de l’autre, il y a plein de moments gênants, il faut enlever ses chaussettes par exemple, on ne parle pas de tout ça, des coulisses de ces scènes d’amour qui paraissent complètement magiques au cinéma. Pour moi, l'amour et la naissance de l’amour ça peut exister même dans les maladresses des débuts d’une relation, de deux corps qui ne se connaissent pas encore et on n’est pas obligé de rentrer dans quelque chose de sensuel pour dépeindre ça. On a aussi l’habitude que le personnage masculin soit à l’initiative de l’acte ou celui qui gère le mieux la situation et les femmes se laissent embarquer. Moi j’avais envie d’un personnage féminin qui sache ce qu’il veut. Cela ne veut pas dire qu’elle est parfaite et ce n’est d’ailleurs pas le but mais elle sait ce qu’elle veut là où lui est un petit peu plus fragile à cet endroit. Ici c’est elle qui guide et ça renverse la tendance. Cela permet de donner davantage de diversité dans la représentation de la sexualité. Il y a plein de sensualité dans le film mais pas forcément aux endroits de l’intimité ou des scènes de sexe.


Pour Vingt Dieux et votre cinéma en général, quelles sont vos principales influences, vos inspirations ? 


J’ai pas de règles. Disons que j’en ai pas et plein. Je me suis inspirée de rien pour ce film mais après j’ai des choses qui me plaisent beaucoup. Esthétiquement un des films qui m’avait plu c’est Beau Travail de Claire Denis. Sa manière de filmer les corps. Robert Altman j’aime sa manière de filmer la foule et les scènes chorales. J’ai aussi une vraie cinéphilie américaine où je suis peut-être plus intéressée par ce cinéma que le cinéma français par exemple. Le cinéma anglais, j’ai cherché le ton du film vers Ken Loach. C’est un réalisateur qui ose plus des personnages qui débordent et en même temps qui s’autorise à avoir de l’humour, ce qu’on ose peut-être un peu moins en France parfois. Des petites bribes de choses qui m’ont inspirées. C’est vraiment film par film, par exemple Justine Triet qui est l’inverse de mon style, j’adore ce qu’elle fait parce que c’est tellement bien fait et incarné. C’est tellement intelligent la manière dont elle fonctionne en étant instinctive. Je peux être touchée par plein de choses différentes si je suis conquise par la mise en scène. 




RÉALISÉ PAR : LOUISE COURVOISIER

AVEC : CLEMENT FAVEAU, MAIWENE BARTHELEMY, LUNA GARRET

DURÉE : 90 MINUTES

PAYS : FRANCE

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