Il n’aura pas fallu longtemps pour que l’effervescence autour du film Barbie de Greta Gerwig, au marketing rosé affirmé, ne crée un séisme 80s dans les garde-robes des influenceurs de toute sorte : le style “Barbiecore”, flashy et rose bonbon, inonde les publications TikTok, s’affiche lors des défilés de mode. Mais au-delà de son potentiel fashion, l’apparition de cette couleur à l’écran n’est jamais innocente.
50 nuances de rose
Souvent résumée à une connotation jeune et féminine, bref girly, la présence de la couleur rose dans le septième art est bien souvent réfléchie, et éminemment plus complexe que ce qu’il n’y paraît. Au cinéma, la couleur a une fonction à la fois esthétique, narrative, et symbolique. Le rose, couleur aux mille nuances, n’échappe pas à la règle.
Esthétiquement d’abord, le rose est une couleur visuellement forte et impactante. Elle a vocation à donner au film un style, une âme. Le cinéma de Wes Anderson et notamment son Grand Budapest Hotel tout de rose peint attire l'œil, nous rassure, à milles lieux de la froideur anxiogène de l’Overlook Hotel du Shining de Stanley Kubrick. Une envie de se lover dans un lieu rassurant et jovial.
La couleur a aussi une vraie fonction narrative. Elle vise à donner des indices sur l’intrigue, sur le caractère des personnages pour guider au maximum le spectateur dans les méandres des plans cinématographiques. Le réalisateur Dario Argento, maître du Giallo, en a d’ailleurs abusé dans ses films horrifiques, Suspiria et Inferno en tête. Dans le premier, le rose de la façade de l’école de danse qu’intègre le personnage de Suzy, est éminemment signifiant. Il renvoie à la nature de la danse, plutôt estampillée féminine, mais aussi à la jeunesse des protagonistes, à leur innocence bientôt pervertie par un rouge suintant.
Le rose dispose aussi d’une vraie connotation symbolique dans nos imaginaires. Des imageries mentales qui auront tendance à varier en fonction de notre appartenance sociétale. Au cœur des sociétés occidentales, cette teinte évoque souvent la tendresse, l'innocence, et bien sûr la féminité. Ainsi, Glinda la gentille fée du Magicien d’Oz est-elle parée d’une longue et bouffante robe rose pâle, symbole de sa douceur, de sa condition de femme et de son rôle quasi maternel. Elle peut aussi vouloir convoquer l’érotisme ou la pornographie, bref l’”incarnat” ou la couleur de la chair comme le rappelle l’historien des couleurs, Michel Pastoureau. On pense alors à l’hologramme géant de Joi, âme sœur artificielle de Ryan Gosling interprétée par Ana de Armas dans le film Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve.
Dans le Barbie de Greta Gerwig, pas de doute, l'usage excessif du rose que l'icône Mattel arbore depuis ses origines, est un clin d'œil au public cible, jeune et féminin, de la célèbre poupée plastifiée. Mais aussi au vif fantasme que représente le monde de Barbie, en forme de cœur dans le film, qui échappe à une réalité plus terne. Sans ironie aucune ?
De la féminité au féminisme : métamorphose d’une couleur politique
Difficile de penser que Greta Gerwig, investie dans les questions féministes déjà abordées dans son précédent film Les Quatre filles du Docteur March, utilise le rose sans arrière-pensée.
Une couleur qui a d’ailleurs tendance à évoluer, dans notre société et au cinéma, devenant plus politique. Ce fut déjà le cas dans les années soixante et l’utilisation par les courants flower power et rock du rose comme symbole de contestation. C’est de nouveau le cas aujourd’hui, où le rose des pussyhat est un signe de ralliement des mouvements d’empowerment des femmes depuis 2017.
On devine que Barbie s’inscrit plutôt dans cette tendance en mettant à l’honneur, parmi les nombreux coloris à l’écran dont le rose Barbie évidemment, le rose millennial. Associée à la génération Y, cette nuance un peu pastel, est à la fois esthétique et profondément politique dans son symbolisme. Plus question de parler de féminité ici. Ce rose est androgyne, et renvoie à la fluidité de plus en plus prégnante des genres. Un refus des conventions qui collerait bien à l’ironique non-sexualisation des poupées dans le film de Greta Gerwig.
Presque plus flashy dans Promising Young Woman de Emerald Fennell (qui joue d’ailleurs dans le film Barbie), le rose agresse, étrille les hommes agresseurs. Il se fait vengeur, bien loin de son interprétation originelle. Au point de flirter un peu avec le rouge…
Le rose de l’édulcoration : un rouge passé ?
Rose is the new red ? Le rose n’est autre qu’un rouge désaturé après sa rencontre avec du blanc. La rencontre entre ce rouge passion, violent et gore et le blanc de la sagesse et de la pureté accouche alors à l’écran sur du rose. La teinte d’une violence crue mais contrôlée. Réfléchie. Maturée.
On la retrouve donc comme une couleur étendard dans les films rape and revenge, qu’il s’agisse de Promising Young Woman cité plus haut, ou encore du Revenge de Coralie Fargeat où la violence froide de la victime s'abat sans pitié sur ses agresseurs. Les rôles s’inversent, et le rose triomphe du rouge souvent plus associé aux personnages masculins.
Dans Spring Breakers d’Harmony Korine, les cagoules rose bonbon des quatre stars de Disney devenues braqueuses évoquent le chemin parcouru. Des fêtes étudiantes au monde de la pègre. D’un rêve de lycéens à la froide réalité. Mais aussi le lien entre ces univers finalement pas si incompatibles. Du strass. Des paillettes. Et des armes. En découle une violence féminisée, très moderne et flirtant avec la provocation. Pas étonnant au vu de la filmographie à la marge du réalisateur.
La violence quasi sadique d’une Dolores Ombrage, pourtant rose de la tête aux pieds, dans le cinquième volet de la saga Harry Potter, vient boucler la boucle : cette tonalité n’est pas que tendresse et innocence sur grand écran. Elle peut tout autant être l’apparat d’une agressivité sourde, mais raisonnée.
De là à faire de Barbie un film coup de poing ? Il n'y a qu'un pas.
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