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Le scénario - Une histoire de suspense, de surprise et de mystère

Dernière mise à jour : 22 déc. 2023


© Paramount Pictures

Devant un bon film, différents sentiments nous assaillent : la peur, la curiosité, la surprise, la sidération. Comment trouver l'équilibre ? Une petite exploration du scénario comme outils dans des films d'Hitchcock à Sans un bruit, en passant par Halloween, peut nous éclairer.


Lorsque l’on sort d’une salle de cinéma et que l’on tend une oreille attentive aux avis du public, il n’est pas rare d’entendre que le film avait “un bon suspense” ou, au contraire, que celui-ci “manquait de surprises”. Derrière ces notions très populaires, implicitement comprises par tou·tes, se cachent en réalité des méthodes de narration très établies et exploitées régulièrement. Aujourd’hui, Surimpressions enfile sa - modeste - casquette de scénariste et revient en détail sur les ingrédients presque universels du suspense, de la surprise et du mystère.


Le suspense


S’il est un cinéaste auquel il faut forcément se référer lorsqu’on parle de suspense, c’est Alfred Hitchcock. Comme Spielberg plus tard, le cinéma d’Hitchcock se veut populaire et accessible, ce qui l'a souvent amené à réfléchir au moyen d’obtenir le plus grand impact auprès du plus large public possible. Selon l’illustre réalisateur britannique, il existe une donnée fondamentale pour mettre en place le suspense : le public doit avoir une information que certains protagonistes de la fiction ne possèdent pas. Prenons un exemple tiré du célèbre ouvrage Hitchcock-Truffaut : celui de la bombe. Deux hommes discutent tranquillement autour d’une table. Soudain, une bombe explose, les spectateur·ices sont sous le choc : pourtant, il ne s’agit pas de suspense mais d’une surprise, dont l’effet est très bref. Pour que le suspens intervienne, selon Hitchcock, il faut que : “Le public sache que la bombe est sous la table, probablement parce qu'il a vu l'anarchiste la déposer. La même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène. Il a envie de dire aux personnages qui sont sur l'écran : « Vous ne devriez pas raconter des choses si banales, il y a une bombe sous la table et elle va bientôt exploser. »


Cette manière de donner une information au public et non aux personnages s’appelle l’ironie dramatique et se retrouve dans de nombreux genres cinématographiques. Dans les slashers comme Halloween, la mise en scène fait régulièrement en sorte de nous montrer que le tueur est là sans que les héros ne s’en aperçoivent. Parfois, il faut peu de choses pour bâtir un suspense : dans le film d’horreur Sans un bruit, où une famille tente de survivre à l’assaut de créatures à l’ouïe très fine, le réalisateur John Krasinski choisit de nous montrer tôt dans le film un plan où l’on voit un énorme clou qui dépasse d’un escalier. Évidemment, le public rodé au genre comprend très vite la situation : les personnages risquent de marcher sur le clou dans la précipitation, de hurler et d’attirer les monstres. En un seul plan, le cinéaste crée une forte appréhension. On pourrait décrire le suspense comme une science de la narration et de la mise en scène où les cinéastes, démiurges de leurs histoires, manipulent nos émotions et nous font constamment craindre le pire. 


La surprise


La surprise fonctionne de manière inverse : il s’agit d’un événement difficile voire impossible à prévoir. La plupart des scénaristes s’accordent à dire qu’il faut l’utiliser avec parcimonie : un trop grand nombre de surprises imprévisibles donnent l’impression d’un scénario à la fois rocambolesque et incohérent, ce qui diminue l’adhésion à l’histoire racontée. C’est un outil moins puissant car, si le public aime les twists, ceux-ci ne peuvent sauver une histoire sans grande tension. Combien de mauvais films ont-ils misé uniquement sur leur retournement final, sans se préoccuper de bâtir une trame suffisamment tendue et intéressante pour faire patienter le public avant le fameux coup de théâtre ? Si tout le monde se souvient du dénouement surprenant du Sixième Sens de M. Night Shyamalan, c’est certes parce que cette surprise est bien trouvée, mais également parce que, tout au long du film, le cinéaste use intelligemment du suspense dans les différentes séquences d’apparitions spectrales, de sorte que la surprise finale apparaît davantage comme la cerise sur le gâteau d’un film déjà réussi que comme le cache-misère d’un piètre scénario. La surprise a l’avantage de relancer l’intrigue et de prendre les spectateur·ices au dépourvu mais son utilisation n’est pertinente que combinée avec le suspense et d’autres atouts narratifs.


Le mystère


Le cas du mystère est plus complexe. Pour le dire simplement, le mystère, tel qu’envisagé par les théoriciens du cinéma, présuppose qu’un des personnages de la fiction en sait davantage que le spectateur·ice et, parfois, que le film se referme sans que ce mystère soit éventé. Ce fonctionnement va à l’encontre du principe qui régit le cinéma américain depuis près d’un siècle : celui de la lisibilité et de la clarté totales de la narration. Il n’est ainsi pas étonnant que certains théoriciens, comme Yves Lavandier, bannissent le mystère du scénario, sous prétexte qu’il éloignerait forcément le public du récit filmé. Néanmoins, on peut émettre quelques réserves sur cette considération. Plusieurs longs-métrages ont fait le choix de garder certains éléments de leur intrigue opaque sans pour autant que cela diminue leur impact. Ainsi, dans In the Mood for Love, lorsque l’écrivain joué par Tony Leung, après une importante déception amoureuse, glisse un petite note dans les vestiges d’un temple cambodgien, le réalisateur Wong Kar-wai ne dévoile pas ce qui est inscrit sur le papier, laissant cette ultime confession à jamais secrète. Plus récemment, dans la Palme d’or Anatomie d’une chute de Justine Triet, l’absence de clarification sur la culpabilité véritable de l’héroïne permet à l'œuvre de dépasser le stade de simple film à énigme pour toucher une interrogation plus universelle sur l’inaccessibilité de la vérité. En choisissant de conserver certaines zones d'ombre, certains cinéastes élèvent leurs films vers des sommets presque métaphysiques, quitte à frustrer un certain public avide de réponses. 


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