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Chungking Express, le film culte de Wong Kar-wai revient dans les salles

Héléna Tostain
Chungking Express de Wong Kar-wai
©TheJokers

La rétrospective de l’œuvre du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai au Cinéma Galeries nous donne l’occasion de nous replonger dans le double récit de Chungking Express.


Hong Kong. Un marché nocturne. Un ciel embrumé. Une course poursuite. Wong Kar-wai pose dès le départ l’identité visuelle singulière de son cinéma en nous immergeant dans l’atmosphère urbaine de la métropole. Ce sont au travers d’images floues et d’une musique électro qu’il nous présente ses personnages. Une voix-off nous annonce en toute simplicité : « Dans 57 heures, je serai amoureux de cette femme ». Il s’agit du policier 223 (Takeshi Kaneshiro) dont l’histoire s’apparente au genre policier avec le personnage de la femme fatale blonde (Brigitte Lin). Le cinéaste fait le choix de scinder son histoire en deux récits. La seconde étant celle d’un autre policier, le matricule 663 (oui on s’y perd avec tous ces chiffres), interprété par l’emblématique Tony Leung Chiu-wai. On y suivra une histoire davantage sentimentale et fantasmée. 


Le récit joue sur le rythme entre lenteur, accélérations, montage rapide en fondu enchaîné et brouille ainsi les frontières tant à l’écran qu’au sein même de la narration. De quoi donner le tournis au spectateur. Pourtant, le pari est réussi et les choix stylistiques en apparence aléatoires du réalisateur parviennent à jeter un regard neuf sur des sujets parfois déjà vus comme la rupture amoureuse ou la solitude dans une grande ville. Car Wong Kar-wai c’est avant tout un cinéma d’ambiance mettant en avant la double identité orientale et occidentale de Hong Kong par son style éclectique (et presque électrique vue le nombre de néons par m2). 

Chungking Express de Wong Kar-wai
©TheJokers

Ses personnages sont profondément seuls portant en eux un réel désir de vivre une ou des histoires par procuration, voire de s’en inventer. Comme à travers une lettre de rupture. Celle de la petite amie hôtesse de l’air de 663 déposée à un fast-food où il se rend régulièrement lors de ses pauses de travail. Celle-ci sera lue par tous les employés. Dans le film, les lieux et objets sont de nature à être infiltrés et deviennent des éléments de communication clandestine entre les personnages. Cette porosité au sein des deux histoires peut faire directement échos à la situation politique entre Hong Kong et la Chine au moment de la conception du film. Hong Kong qui était depuis 1842 une colonie britannique, va être rétrocédé à la Chine. Le cinéaste s’attache à illustrer la confusion qu’a provoqué l’annonce de cette rétrocession. La population hongkongaise craignait (et craint toujours) que l’identité de la mégapole soit écrasée par celle de la Chine. Ce climat politique complexe nourrit l’imaginaire du film et nous retrouvons cette même confusion dans l’essence même des personnalités des personnages.


Chungking Express de Wong Kar-wai
©TheJokers

Au-delà d’une narration axée autour des deux policiers, le cinéaste accorde tout autant d’importance à la notion du temps. Il régit la vie des personnages, il accentue le poids de l’ennui et de l’isolement. Les thèmes de la mémoire, de l’oubli sont de vraies composantes du cinéma en Asie et nous le retrouvons ici par une temporalité propre à chacun des deux hommes. Dans les deux histoires, ils ont le sentiment de ne pas maîtriser le temps, d’en être presque la victime. Dans la scène d’ouverture, une tension s’engage entre l’image de la fuite du temps et le désir de le fixer. Cela passe par l’ouïe et la vue. En contraste avec le flou de l'image et l'indistinction visuelle de l'action, le son apporte un saisissant degré de précision sonore par la voix-off de 223. Ainsi, la fuite du temps coïncide avec la fuite des images.


Le temps devient d’ailleurs un objet de fétichisation, sous la forme de boîtes d’ananas périmées, symbole d’un amour qui n’est plus bon à vivre. Avec autodérision, le policier 223 nous explique en voix-off qu’il achète la nourriture préférée de sa copine (on n’a pas tous un palais développé), bientôt ex petite amie. Le moment de la date de péremption marque la rupture définitive du couple. Une façon de matérialiser le sentiment, de combler l’absence. Puisque le temps va trop vite, puisque l’être aimé est parti et qu’il n’a pas su le retenir.


RÉALISÉ : WONG KAR-WAI

AVEC : TONY LEUNG CHIU-WAI, BRIGITTE LIN, FAYE WONG, TAKESHI KONESHIRO

PAYS : HONG KONG, CHINE

DURÉE : 97 MINUTES

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