Absent des écrans depuis Twixt en 2011, Francis Ford Coppola revient cette année avec Megalopolis, un projet resté à l’état d’ébauche pendant quelques décennies en raison d’investisseurs trop frileux face à la démesure de l’entreprise. Qu’importe pour le réalisateur du Parrain qui a autofinancé le film de ses rêves en puisant dans sa fortune personnelle à hauteur d’au moins cent vingt millions de dollars. Quand Megalopolis a enfin vu le jour et a été annoncé en Compétition officielle au festival de Cannes, la presse et les fans ont, de concert, fantasmé l’œuvre-somme d’un artiste triomphant de la machine industrielle. Mais, entre un tournage ingérable, des comportements déplacés du cinéaste (qui réfute ces accusations) à l’encontre de figurantes, la présence au casting d’acteurs tombés en disgrâce (dont Shia LaBoeuf visé par une plainte pour violences conjugales et agression sexuelle) et des retours cannois désastreux, l’espoir de retrouvailles messianiques avec Coppola n’a pas fait long feu. On n’était pas au bout de nos peines.
Dans une fable rétrofuturiste qui se déroule à New Rome, un New York imaginaire décadent, la civilisation court à sa perte, en miroir de la chute de l’Empire romain. Au cœur de cette société, Cesar Catilina (Adam Driver), un architecte obsessionnel capable d’arrêter le temps, s’oppose à Franklyn Cicéron (Laurence Fishburne), le maire conservateur de la ville, tandis que la famille de Cesar, des ultrariches populistes, tire profit de ce chaos. Ce qui frappe d’entrée dans Megalopolis tient à un paradoxe : alors que Coppola abandonne tout sens de la narration — les intentions de ses personnages incluses —, les paraboles qui traversent le récit sont, quant à elles, martelées et d’un programmatisme lassant. L’avalanche d’aphorismes fumeux, de citations appuyées (dont Hamlet grand-guignolesque) et de dialogues aberrants enlise tout le casting dans le ridicule. Du mélange qui convoque le lyrisme et la bouffonnerie vulgaire, ainsi que l’opéra et le soap opera pour incarner un monde avili par la déperdition de repères moraux, il ne ressort qu’une confrontation, usée jusqu’à la corde, entre un pragmatisme cynique et un idéalisme benêt. Formellement, le réalisateur d’Apocalypse Now confond l’éclat de génie avec une accumulation d’effets, notamment psychédéliques, aussi datés que de mauvais goût (parfois volontaire) qui créent, certes, çà et là de brefs sursauts de fascination, aussitôt engloutis dans une cascade d’ennui.
La thématique de la maîtrise du temps, l’obsession commune de Coppola et de Cesar (son alter ego), est traitée sans véritable réflexion novatrice, et Megalopolis s’engouffre, de surcroît, dans des représentations d’un autre âge. En reléguant le peuple à des figurants, en dehors du débat politique, l’utopie prônée par le long-métrage s’enferme dans de la mièvrerie de privilégiés. En outre, aucun stéréotype n’est épargné aux personnages féminins, tous réduits à des archétypes sexistes : la maîtresse arriviste (Aubrey Plaza), la mère (Talia Shire) inapte à aimer son fils, la starlette mythomane (Grace VanderWaal) et l’héroïne (Nathalie Emmanuel) tiraillée entre l’amant et le père. Les féminicides deviennent des gimmicks, et la bisexualité est associée à une vie dissolue, bientôt corrigée par le mariage hétérosexuel et la maternité synonyme de sainteté. Sous couvert de la fable, les schémas réactionnaires ont encore de beaux jours devant eux.
Ses défenseurs affirment qu’à terme Megalopolis sera réhabilité et célébré pour la liberté de son auteur. Selon nous, cette prophétie tend surtout à se conforter dans une conception de l’art au-dessus de toutes contraintes, et dans lequel les envies de l’auteur passent avant le respect et l’intégrité d’autrui. Pourtant, le geste de Francis Ford Coppola s’apparente plus à une vision épuisée de la création et du monde qu’à un chef-d’œuvre expérimental incompris.
Réalisé par : FRANCIS FORD COPPOLA
Avec : ADAM DRIVER, NATHALIE EMMANUEL, AUBREY PLAZA, SHIA LABEOUF
Pays : ÉTATS-UNIS
Durée : 138 MINUTES