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Photo du rédacteurAdrien Corbeel

Rencontre avec Audrey Diwan : Une nouvelle Emmanuelle

Après L'Événement, la réalisatrice française crée la surprise avec une nouvelle version d'Emannuelle. Rencontre. 

Emmanuelle, c'est d'abord un roman d'Emmanuelle Arsan, sorti en 1958. Comment en êtes-vous venue à l'adapter ?


Je l'ai lu de manière très récréative. Mon producteur me l'a tendu et je l'ai pris par pure curiosité. Au deux tiers du livre, il y a une longue conversation entre la jeune Emmanuelle et un homme évidemment beaucoup plus vieux. C'est une centaine de pages de discussions sur qu'est-ce que l'érotisme. L'envie est partie de là. 


Est-ce que la célèbre adaptation avec Sylvia Kristel, sortie en 1974, a été une source d'inspiration ? Le film que vous proposez en est très éloigné…


Je ne l'ai jamais vu en entier ! (rires). J'avais tellement l'impression qu'il ne s'adressait pas à moi… Mon idée c'était de prendre le nom d'Emmanuelle, ce corps, et d'en faire un vaisseau. On se répétait toujours que c'est un autre voyage. S'il s'agit de larguer les amarres, autant le faire vraiment. La seule manière de rentrer dans le film, c'est de dire aux gens qu'il faut oublier Emmanuelle. Ce que j'aimerais, mon désir un peu fou, c'est de faire table rase du passé. Mais peut-être que j'en demande beaucoup.


D'une certaine manière, vous faites aussi table rase de votre filmographie : votre précédent long-métrage, L'événement, proposait au public de suivre l'éprouvante expérience d'une grossesse non désirée. Emmanuelle en revanche est tourné vers le plaisir. C'était intentionnel ?


J'ai travaillé pendant trois ans sur la douleur. J'étais donc très contente de pouvoir m'interroger sur le plaisir. C'était agréable de faire ce chemin, cette expérience. Est-ce que je peux transmettre le plaisir à l'écran ? Pour moi, l'érotisme ne se produit pas au moment où on filme des corps ou des corps nus. L'érotisme, c'est une atmosphère. C'est un matériau que je voulais travailler de sorte que tout [dans le film] puisse se connecter à ces questions de désir. Avec Rebecca [Zlotowski, co-scénariste], on s'est vraiment posé la question de la jouissance. Est-ce qu'on n'est pas tout le temps en train de nous dire « Profite, jouis de ce que tu as autour de toi » comme une injonction, comme un truc de performance, comme quelque chose d'étouffant ? Est-ce qu'à un moment on n'a pas envie de casser les vitres, et les portes pour aller ailleurs, pour trouver quelque chose de plus sincère ?

Comment avez-vous envisagé la représentation du plaisir ? 


Quand on cherche à représenter l'orgasme féminin, on cherche à représenter l'invisible. Il y a quelque chose de contre nature : le cinéma tend à s'emparer de quelque chose qui ne peut pas se voir. C'est un exercice assez intéressant. Comment échappe-t-on aux représentations plus classiques, éculées, la femme qui hurle, etc. ? Où est-ce qu'on va chercher ce plaisir, et par quoi passe-t-il ? Comment l'articule-t-on pour que, alors qu'on est en train de faire du faux, du jeu, on arrive à atteindre quelque chose qui soit le vrai ? On y a beaucoup réfléchi Noémie Merlant et moi. 


L'Emmanuelle qu'elle incarne vit dans un premier temps la sexualité de manière très froide, très méthodique. Et l'hôtel de Hong-kong dans lequel elle passe une bonne partie du film, est à son image. Tout est très propre, très lisse. 


Mon envie, c'était de créer un hôtel un peu étrange, qui serait un peu comme un miroir pour elle. C'est-à-dire que cet endroit doit tout le temps être parfait, et elle qui travaille là-bas — elle travaille au contrôle qualité, — elle doit vérifier que l'expérience et le plaisir du client soient optimaux. Et tous les matins, quand elle sort de sa chambre, puisqu'elle vit à l'hôtel, elle doit être parfaite, de la même manière que l'hôtel tous les matins doit être redevenu parfait. On est pris avec elle dans cette espèce de bulle. Tout doit être parfait. Pour moi, le chemin du film, c'est le lâcher-prise. C'est-à-dire comment on se remet à respirer ? Et le plaisir vient du moment où on relâche. C'est vraiment le travail qu'on a fait avec Noémie Merlant. 

Naomi Watts joue un rôle important dans le film. C'est une actrice qui convoque beaucoup de choses dans l'imaginaire cinéphile, notamment avec Mulholland Drive.


C'est assez rare les acteurs qui produisent ça. Dès qu'on invoque son nom, il va comme de pair avec une forme d'atmosphère. Ce qui est très intéressant, c'est que j'avais imaginé un ton, une tonalité, quelque chose de peut-être plus froid pour son personnage. Et elle est venue contredire ça. Elle m'a dit qu'elle préférait dire l'autorité par la douceur, quelque chose de plus étonnant. C'était très intéressant de l'écouter et de voir ce qu'elle proposait.


Le montage a-t-il été difficile ?


Pauline Gaillard, la monteuse, a été absolument essentielle. Ca a très très violent, très dur. J'étais au corps à corps avec le film, j'en avais assez peur. C'était compliqué. Je pense que sans son intelligence, aujourd'hui, il n'y aurait pas de film. Heureusement qu'on est très amies parce que sinon je pense qu'elle serait partie ! (rires). Le montage c'est le moment où on sait. On a des intuitions sur le plateau, on a des intuitions à l'écriture et puis là, on a des images sous les yeux. Moi je me débats beaucoup avec ça. Souvent je me dis que ça ne veut rien dire. Je désespère. Je me dis « je ne savais pas que je pouvais rater le film à ce point ». Mais il faut s'appliquer à croire à quelque chose. Le rythme [d'Emannuelle] n'est pas très classique. Il faut se forger une conviction et se dire, c'est comme ça que j'ai envie de dire le film, quitte à être clivant. C'est se dire, je crois en ça. Je crois en cette durée de la scène. Mais c'est très subjectif. 



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