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La Mer au loin : Rencontre avec le cinéaste Saïd Hamich

À l’occasion de la sortie de ce beau mélodrame qu'est La Mer au loin, nous avons pu nous entretenir avec le réalisateur et scénariste du film, Saïd Hamich. 

La mer au loin
© Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production

La Mer au loin charme d’abord par son atmosphère très ancrée dans les années 90. Pourtant,

étant né en 1986, et arrivé en France en 1997, ce n’est pas une époque que vous avez connue. Pourquoi avoir situé l’intrigue du film à cette période  ?


Quand je suis arrivé en France, dans le sud, j’ai vu avec un regard d’adolescent la fin de cette période-là. J’ai des souvenirs très forts, de mes grands frères, de la musique qu’ils écoutaient avec des cassettes, mais aussi des ouvriers agricoles, de leur quotidien. Et puis quand j’écrivais, la musique raï s’est très naturellement liée à ce que je voulais raconter. Dans cette question qu’est l’exil, la musique est très importante, elle fait partie du quotidien des personnages. Je voulais vraiment ancrer le film dans cet âge d’or pour Marseille en 80-90, avec l’essor des cabarets raï. Ça nourrissait le mélodrame, car cette musique m'aide à exprimer certains sentiments. Il amène une mélancolie. Je ne voulais pas parler des migrants uniquement par la question des sans-papiers. Je voulais qu’ils aient une atmosphère, une passion, autre chose à eux que simplement leur condition sociale. 


Est-ce qu’il y a une part d’autobiographie ?


Je ne dirais pas autobiographique, mais il y a une part personnelle. Ce que j’essaye de faire avec ce film, c’est de donner un sentiment de l’exil, d’essayer de faire ressentir aux spectateurs et spectatrices cette sensation de l’absence. Et c’est quelque chose de très difficile à expliquer aux autres personnes, même proches - je l’ai vu dans ma vie personnelle. Moi, j’ai grandi au Maroc, je suis arrivé en France à onze ans, et je me sens dans cette sensation d’exil. C’est quelque chose de difficilement palpable, et je me suis dit que c’était un beau défi de cinéma de tenter de le raconter.

La mer au loin
© Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production

Dans sa trajectoire, Nour croise énormément de personnages, provenant de milieux socioculturels très différents, notamment un inspecteur de police et une famille italienne aux opinions racistes. Pourtant, malgré cela on a l’impression que vous traitez ces personnages avec une empathie certaine. 


C’est un devoir d’écriture. Je ne veux pas que les personnages soient au service du récit, je veux que le récit soit au service des personnages. J’ai toujours besoin de comprendre quelle est la fracture d’un personnage. Ce film a été construit comme L’Éducation sentimentale de Flaubert, comme un roman d’apprentissage. Le personnage principal grandit constamment par les autres. Pour que son évolution soit intéressante, il faut que les personnages autour de lui soient intéressants. C’est pour ça que je veux rendre la complexité. Serge (NDLR : l’inspecteur de police), il peut être raciste et à la limite du moralement acceptable, mais il peut aussi souffrir très fortement, de sa fracture à lui. Pour moi, c’est normal, c’est une rigueur à laquelle je m'astreins. C’est pour ça que j’aime le mélodrame : c’est un style de cinéma génial car il permet aux personnages de parler beaucoup et d’évoquer leur souffrance. 


À Marseille, Nour subit régulièrement du racisme. Lorsqu’il rentre au Maroc, sa famille l’accuse d’être trop occidentalisé et de s’être marié à une femme blanche. Pour vous, le sentiment d’exil, c’est quelque chose de sans fin ?


Oui, c’est le propre de l’exil. L’exil c’est la double absence. Ce sentiment de ne jamais être chez soi. Il y a deux fantasmes là derrière. D’abord, le fantasme du départ, on pense à l’aventure et à la fête, mais on se heurte souvent à la dureté du pays d’accueil, les problèmes de papiers, de racisme, la difficulté d’épouser des nouveaux codes. Et puis, il y a le fantasme du retour. On se rattache à un souvenir ancien et on se dit qu’on va retrouver quelque chose qu’on connaît. Mais c’est faux. Quand on part, on perd ce qu’on avait. On peut retrouver la terre, les paysages, les gens, mais tout a changé. Les gens ne vous attendent pas. Il y a une phrase qui m’a beaucoup habité qui dit “On part en héros et on revient en traître. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas reconstruire quelque chose avec notre pays d’origine. Personnellement, j’ai renoué avec le Maroc, parce que j’y travaille, je suis producteur là-bas aussi. Mais il faut reconstruire autre chose, on ne retrouve jamais ce qu’on a abandonné.


Comment avez-vous choisi l’acteur principal, Ayoub Gretaa ?


Ça a été très difficile. D’abord, il fallait un acteur qui parle français avec un certain accent. Je ne voulais pas un acteur qui puisse singer l’accent, ça marche rarement. Il fallait aussi qu’il puisse danser, et surtout, il fallait qu’il sache jouer en écoutant. Nour, c’est quelqu’un qui existe grâce aux autres. L’acteur devait être dans cette concentration de l’écoute. Je crois que c’est extrêmement difficile pour un comédien de ne rien faire et d’écouter. J’ai trouvé ça chez Ayoub. Et puis il avait quelque chose d’essentiel au film, il avait cette capacité d’être très lumineux, de pouvoir partir d’un rire solaire très franc, puis de très vite glisser vers la mélancolie.

La mer est loin
© Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production

La narration du film, découpée en cinq chapitres s’étalant sur une décennie, a quelque chose de très romanesque…


C’est un défi pour n’importe quel scénariste et réalisateur : comment raconter dix ans ? C’est une question très simple et très complexe. J’ai fait le choix de découper en chapitres par rapport aux personnages, avec de fortes ellipses, car je voulais qu’on sente le temps long. L’exil, ce n’est pas l’immigration, c’est ce sentiment qui se dépose en vous au fil des années, cette perdition de votre intimité. Dix ans, c’était le temps minimum de fiction nécessaire pour le raconter. Je n’ai pas fait davantage car sinon il aurait fallu commencer à maquiller les acteurs ou à changer de comédiens et je n’aime pas tous ces artifices de cinéma. Ensuite, j’ai choisi de découper le film avec des scènes très longues car, en fait, c’est un peu comme ça qu’on vit une époque : on a des souvenirs très forts d’une soirée, et pas de l’ensemble. J’aime ce côté très long d’une journée et très court d’une année. 


À la fin, un des personnages dit : “les riches ont peur de la tristesse. Nous, on l’aime et on vit avec.” Est-ce une forme de morale ? 


Pour moi, c’est presque un clin d'œil…Lorsque le raï était à son apogée, c’était une musique mal vue. C’était une musique de mauvaises fréquentations. Beaucoup des jeunes qui écoutaient du raï avaient cette attitude très mélancolique, très dépressive, souvent liée à l’exil. J’aimais bien l’idée que cette musique qu’ils écoutaient tout le temps devenait presque une part de leur identité, comme si la mélancolie était leur drogue.




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