Dans le cadre estival et bucolique de la Camargue, nous découvrons la jeune Nejma à ses débuts de raseteuse dans les courses de taureaux camarguaises. Nejma aime et redoute les bêtes, et de cette ambiguïté va naître une fascination pour elles. Dans un milieu profondément viriliste et traditionnel, elle va tenter de trouver sa place. Mais des changements physiques inquiétants commencent à se manifester en elle pour une raison qu’elle ignore encore. Au travers des genres de l’horreur et du western, la réalisatrice Emma Benestan renouvelle les codes de la métamorphose au féminin en mettant en scène un personnage qui perd pied face à la violence des hommes. Rencontre.
Vous nous livrez un récit entre l’horreur et le western, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous aventurer dans ces nouveaux genres ?
J’étais assez fan du genre du western quand j’étais plus jeune. Mon père m’en faisait beaucoup regarder et j’adorais ça. Mais je n’y retrouvais jamais beaucoup de personnages féminins ni de personnages féminins issus de l’immigration comme je le suis. Il y a eu une envie très forte d’embrasser ce genre. Et puis il y a une origine dans la Camargue du western qui remonte aux années 70. D’ailleurs l’un des premiers westerns en pellicule du temps des frères Lumière a été tourné en Camargue donc ce n’est pas non plus aberrant d’avoir une envie de western quand on veut raconter quelque chose autour de la Camargue. Ce qui était mon cas puisque ça fait dix ans que je me balade dans la région, j’y ai fait deux documentaires, j’ai grandi pas loin. Avec ces documentaires et cette tradition du western camarguais qui a existé avant, cela me semblait logique.
Ensuite pour l’horreur, j’ai été biberonné à Buffy contre les vampires. Au moment où je me baladais en Camargue sur ces deux documentaires, j’en finissais un sur une jeune femme qui allait dans l’arène qui s’appelle Marie Segrétier. Et quand je tournais avec Marie je revoyais Buffy contre les vampires et tous les films de genre que j’aimais pour faire de la direction artistique d’une série qui s’appelle Vampire, d’ailleurs avec Oulaya [Amamra, actrice principale d’Animale, NDLR]. Je m’étais dit que la Camargue avait quelque chose d’assez fantastique avec à la fois une certaine peur et une puissance magique de la nature qui est sans cesse là. Avec les moustiques mais surtout avec les taureaux et les chevaux sauvages. Je trouvais que c’était un terrain très fort. Il y a un film de genre qui s’appelle Near Dark de Kathryn Bigelow. C’est le premier film qu’elle a réalisé, qui est un western vampirique. Un vrai film de vampire mais avec des codes de western aussi et c’était une de mes grandes références quand je pensais à Animale.
Comment en êtes-vous venue à faire ce lien proie/prédateur, que sont à la fois Nejma et le taureau, dans cet univers masculin ?
Quand j’avais fait mon documentaire sur Marie Segrétier, la jeune fille raseteuse, que j’avais suivi elle m’avait dit un truc très beau : "tu sais dans l’arène quand j’y vais moi le taureau il en a rien à faire que je sois un homme ou une femme, il s’en fout. Il voit juste un animal face à un autre animal.” Je m’étais dit que l’animalité permet quelque part de transcender le genre et peut-être finalement la violence. C’est aussi dans cette question de l’animalité, et de ce qu’elle peut amener de résilience pour le personnage que j’ai trouvé ça intéressant. Ces taureaux que l’on voit comme un symbole en plus du masculin ultime avec ses grandes cornes qui peuvent rappeler vraiment une métaphore très forte sexuelle et qui peut faire vachement peur dans la nuit. On se dit mais qui est la bête vraiment en fait, est-ce que c’est l’animal, est-ce que c’est autre chose ? Où est le curseur de violence ? J’avais envie de jouer sur des symboles parce que parfois on se rend compte que finalement ce qui devrait nous faire le plus peur est beaucoup plus proche de nous et beaucoup moins clair que ce que l’on pouvait penser.
Dans votre film, Nejma est victime du male gaze de son entourage, pourtant votre caméra ne la sexualise jamais, comment on parvient à obtenir cette nuance ?
C’était hyper important, et même dans la bestialité. Souvent la bestialité au féminin dans l’horreur ou les films en général, elle est toujours érotisée. Dans La Féline de Jacques Tourneur ou même Ginger Snaps de John Fawcett par exemple, la femme est érotisée en devenant une panthère, une femme serpent dans la mythologie : la bestialité au féminin est érotique. Ça passe par des cadres, des manières de la montrer, comment la filmer, c’est toujours une question de regard. Il y a une sensualité j’espère dans le film mais qui n’est pas une sexualisation de mon personnage en mode objet de corps ou objet de fantasme. On s’est vraiment interrogé avec le chef opérateur sur les cadrages, sur ce qu’on imaginait. C’est aussi passé par des envies fortes de plans qui la laissent exister et surtout d’une envie de faire en sorte que le spectateur soit à sa place durant le film. On est avec elle et on ne la regarde pas comme une petite chose qui en devient une autre et qui est fantasmée. Le fantasme c’est toujours un détachement, on voit quelque chose et on fantasme, c’est pas quelque chose qui est collé avec notre empathie. Ici l’empathie permet aussi de ne pas sentir le fantasme.
Comment avez-vous ajusté votre direction d’actrice lorsque vous passez d’un genre à un autre, en l’occurrence d’une comédie romantique avec Fragile à un western fantastique pour Animale ?
Ça n'a rien à voir car la comédie romantique, typiquement Fragile, c’est assez bavard. Il y avait beaucoup de dialogues. Tout était autour du rythme du tournage et de l’énergie comique des comédien·nes. Pour Animale tout était autour d’Oulaya et des autres jeunes, mais avec peu de paroles. En fait, tout était dans le corps et dans le langage visuel de la caméra. Ce n’était pas du tout le même travail, je n’aime pas faire le même film à chaque fois, j’aime bien aussi me surprendre et aller dans ma zone d’inconfort. Ma zone de confort avec Fragile elle devenait une zone qui me plaisait avec beaucoup de punchlines. Là j’avais envie de quelque chose de plus taiseux, davantage axé sur le corps, quelque chose d’inquiétant et de plus sombre. Après avoir travaillé sur une fragilité masculine, j’avais envie de travailler sur cette puissance féminine. C’était très différent sur le plateau puisque la caméra devait nous donner cette sensation de corps avec elle. Le travail avec le chef opérateur n’était pas axé sur quel plan va nous faire plus rire qu’un autre. En même temps, je trouve que la peur et le rire ont beaucoup de ressemblance parce que ça joue tout de suite sur un effet corporel qu’on essaie d’avoir sur le spectateur. Soit le faire frissonner, le tendre, soit lui faire lâcher prise. Pour moi c’est l’envers et le revers de quelque chose d’assez émotionnel que j’aime dans le cinéma.
RÉALISÉ PAR : EMMA BENESTAN
AVEC : OULAYA AMAMRA, DAMIEN REBATTEL, VIVIEN RODRIGUEZ
PAYS : FRANCE / BELGIQUE / ARABIE SAOUDITE
DURÉE : 100 MINUTES