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Cannes 2025 : La petite dernière, la perle d'Hafsia Herzi

La petite dernière, d'Hafsia Herzi
© Festival de Cannes

2025 est l'année d'Hafsia Herzi ! Après avoir remporté le César de la Meilleure actrice pour son rôle dans Borgo en février dernier, elle présente actuellement La petite dernière, son troisième long-métrage en tant que réalisatrice, en Compétition à Cannes.


Après deux films très personnels (Tu mérites un amour et Bonne mère), Hafsia Herzi adapte le roman autobiographique, à la première personne du singulier, de Fatima Daas. Dans le livre, l'acceptation de soi est abordée par le biais d'un récit fragmenté, en miroir de l'identité multiple d'une jeune femme musulmane, d'origine algérienne, asthmatique et lesbienne dans la France actuelle. La réalisatrice met ici en scène le déchirement intime de Fatima (incarnée par la révélation Nadia Melliti), en se focalisant sur les années de fin du lycée et l'entrée en fac de philosophie à Paris, sans essentialiser le rapport à la religion de sa protagoniste. Car, Herzi y tient, il s'agit de l'histoire d'une femme qui aime les femmes, sa famille et ses croyances mais dont l'émancipation passe d'abord par l'apprentissage d'un amour de soi. Si la scène avec l'imam illustre bien l'homophobie de l'Islam (au même titre que les autres religions), La petite dernière évite les clichés et les pièges de l'obsession identitaire. C'est sans doute pour cela qu'Hafsia Herzi était la bonne personne pour raconter cette histoire. Elle voulait composer un personnage unique dans la fiction française en y intégrant des éléments qu'elle connaît viscéralement : la famille issue de l'immigration postcoloniale, les quartiers et la cité, la mère, la pudeur et l'importance de l'école pour s'affranchir. Loin d'être des détails, ces liens amènent les représentations du film vers une justesse trop rare dans le cinéma actuel. 

La petite dernière
© Festival de Cannes

La petite dernière est un film de liberté, de bouillonnement et d'amour contrarié qui ne tombe pas dans les écueils du drame qui lui tendaient pourtant les bras, ce qui décuple la puissance des déchirements et des élans que Fatima traverse. Chez Hafsia Herzi, tout vit, tout bouge, rien ne semble mécanique. À cet égard, le travail sur le texte et les dialogues est admirable, en ébullition constante, jamais statique, ni cadenassé - comme un antidote à un certain naturalisme francophone qui ne laisse plus respirer sa langue. La mise en scène, proche du ressenti de ses héroïnes, forge de plus en plus l'identité artistique d'Herzi. Le premier rendez-vous amoureux entre Fatima et Ji-Na (exceptionnelle Ji-Min Park) est l'un des moments les plus exaltants et touchants vus cette année à Cannes tant il est habité par un flux romantique et un sens du romanesque qui se nouent entre les couches d'interprétation des actrices et la caméra en osmose qui les épouse. Du reste, le cadrage et l'usage des couleurs (notamment dans la scène d'introduction de Fatima et dans celles des soirées LGBTQIA+) attestent d'une maîtrise formelle en pleine évolution, qui revitalise le vérisme et le perce même par endroits de visions oniriques hantées, tandis que le brillant montage de Géraldine Mangenot renvoie par des échos discrets à la narration entêtante de Daas. 


Pourtant, à chaque fois qu'un film lesbien bénéficie d'une visibilité comme celle qu'offre le Festival de Cannes, la presse et le public ne peuvent pas s'empêcher de le comparer au corpus (toujours trop restreint) d'œuvres queer qui l'a précédé. Quoi qu'on fasse, La petite dernière doit subir la comparaison avec La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche, réalisateur chez qui Herzi a commencé sa carrière. Or, cette association n'a pas beaucoup de sens. Pire, elle risque d'annihiler ce qui fait la beauté du geste d'Herzi : la douceur et la tendresse du regard qu'elle pose sur ses personnages et son casting. La cinéaste ne s'en cache pas, elle est incapable de filmer quelqu'un·e qu'elle n'aime pas. Et ça s'impose comme une évidence quand on voit ses choix d'adaptation : le père a été adouci, la relation avec Ji-Na rendue plus bouleversante, et aucun personnage secondaire n'est pris de haut. De même, en préférant les longs baisers et les moments introspectifs et/ou de complicité après le sexe plutôt qu'une frontalité objectivante, sans restreindre l'élan de libération (notamment sensuelle) de sa protagoniste, Herzi impose sa voix, unique et éblouissante. 


De l'aveu de la réalisatrice, La petite dernière n'a pas été facile à monter et elle a dû faire face aux réticences et à la lesbophobie du milieu artistique et de la société. Devant le résultat final, l'on ne peut qu'être reconnaissant·es qu'elle se soit battue pour donner vie à ce projet avec autant de bienveillance et d'intégrité - pour reprendre le terme utilisé par Fatima Daas en conférence de presse. Ça tombe plutôt bien car, de l'intégrité, le cinéma et notre monde en ont justement besoin !


Réalisé par : Hafsia Herzi

France/Allemagne

Compétition officielle

Avec : Nadia Melliti, Ji-Min Park, Melissa Guers




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