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Critique : Broker de Kore-eda Hirokazu

Famille recomposée

© September Films

Qu’est-ce qu’une famille ? Et surtout, qu’est-ce qui la définit ? Ces interrogations traversent toute l’œuvre du réalisateur japonais Kore-eda Hirokazu (Nobody Knows, Une affaire de famille). Dans Broker, son premier film coréen, le cinéaste regarde avec humanisme ceux qui, abandonnés à la naissance, cherchent à donner un sens à leur existence.


Prix d’interprétation masculine pour le formidable Song Kang-ho (encore auréolé du succès de Parasite en 2019) au dernier Festival de Cannes, Broker suit, sous forme d’un road trip et de filatures (avec un travail méticuleux sur le surcadrage), le périple d’individus réunis autour d’un nouveau-né déposé dans une boîte à bébés, puis volé par deux «courtiers» («brokers» en anglais) qui vendent illégalement des nourrissons. La mère de l’enfant (Lee Ji-eun, la révélation du film), ayant accepté de toucher une commission, sillonne la Corée du Sud avec eux et un orphelin attachant.


Chez Kore-eda, le cinéma a pour mission de dépasser les apparences et les choix contestables. Dans Broker, la marginalité fonctionne comme un révélateur, à la fois de la nature profonde des personnages (des êtres rejetés qui cherchent à être (re)connus), et d’une société qui marchande des bébés ballottés dès la naissance. À ce titre, les rencontres avec les couples de clients / adoptants potentiels traduisent la violence de ces transactions : le premier négocie le prix et les modalités de paiement sous prétexte que le bébé n’est pas assez joli pour eux, et le mari tient à savoir si l’enfant est né d’un viol avant de faire son choix ; tandis qu’un autre, bien sous tous rapports, exige que la mère biologique s’engage à ne jamais revoir son garçon.



S’appuyant sur une écriture précise et une gestion des espaces à valeur politique, Kore-eda formule une critique sociale sur les pratiques coréennes, et la dépasse pour tendre vers un commentaire plus universel. En effet, si Broker représente certaines spécificités culturelles, l’abandon qui s’abat sur les femmes enceintes et démunies, le sexisme qui juge les mères et exonère les pères, et les cas d’adoption loin des contes de fées résonnent aussi avec une réalité européenne que l’on ne peut ignorer.


Au thème de la famille, Broker greffe celui de la (re)naissance en travaillant la symbolique de l’eau, via notamment le motif de la pluie qui parcourt poétiquement le récit (le rêve de So-Young, la référence à Magnolia). Dans une scène au car wash, Kore-eda reprend cette donnée aquatique pour créer une parenthèse enchantée, loin des tumultes de la réalité. Par ailleurs, le lien primal à l’identité est aussi renoué lorsque, s’ouvrant l’un à l’autre, les protagonistes s’avouent leurs véritables noms et prénoms. De cette (re)connaissance naîtra la solidarité.


Sensible sans sensiblerie, Broker repose sur une recette d’alchimiste, mêlant la gravité du sujet à une forme de tendresse humoristique (la blague récurrente sur le manque de sourcils du bébé transforme la cruauté du monde en un élément cocasse). Préférant le dévoilement au jugement, Kore-eda pose sur ses personnages un regard qui pardonne, et des gestes qui réparent l’espace de moments partagés. Dans Broker, la rédemption n’est jamais forcée parce qu’elle trouve sa voie dans un cheminement qui va vers l’autre, qui prend le temps de l’expérience, et de l’intimité.


(Re)faire famille, qu’elle soit mise en scène ou utopique, chez Kore-eda, c’est déconstruire sa notion et les rôles (entre autres liés au genre) qui y sont assignés. Dans l’obscurité d’une nuit témoin de leur complicité, les protagonistes de Broker se remercient mutuellement d’être nés. À ce moment-là, dans une autre salle obscure, le public peut remercier Kore-eda d’être l’artiste-magicien qu’il est, doublé du meilleur directeur d’actrices et d’acteurs (enfants inclus) en activité.


RÉALISÉ PAR : KORE-EDA HIROKAZU

AVEC : SONG KANG-HO, KANG DONG-WON, DOONA BAE, LEE JI-EUN, LEE JOO-YOUNG

PAYS : CORÉE DU SUD

DURÉE : 129 MINUTES




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