Une oeuvre fantastique à tous les niveaux
Le dernier film de Rose Glass aura fait couler beaucoup d’encre en Belgique, et même jusqu’aux États-Unis, suscitant de vives polémiques suite à sa projection interpellante au BIFFF. Au-delà des réactions aberrantes, qui s’ajoutent au contexte régressif quant aux droits des personnes LGBTQIA+, un aspect regrettable est que le film en lui-même a été quasiment occulté des conversations. Pourtant, ce dernier a de quoi rester longtemps dans les mémoires, tant il relève presque du chef-d’œuvre.
La réalisatrice du film d’horreur Saint Maud met en scène ici un binôme féminin lesbien, à la fois passionnel et toxique : Jackie et Lou, interprétées brillamment par Katy O’Brian et Kristen Stewart. La première est culturiste et ne rêve que d’une chose, concourir lors d’une compétition à Las Vegas, avant de mettre les voiles à travers le pays. La seconde gère une salle de sport dans une petite ville désertique du Nevada. Assez vite, c’est le coup de foudre; tout aussi rapidement les démons de l’une et l’autre sortent du placard et les ennuis commencent. Le couple se révèle à la fois solidaire et dysfonctionnel, semant la mort sur son passage tout en semblant vouloir échapper à une forme de déterminisme. Lou autant que Jackie tentent de se défaire d’un contexte ultra violent, reflet d’une certaine Amérique - une violence qui trouve également écho en elles, dans le passé de Lou et les impulsions sanguines de Jackie. C’est sur fond de meurtres, de violences conjugales et de trafic d’armes que se dessine leur touchante histoire d’émancipation.
La cinéaste britannique fait la part belle aux amours et au sexe lesbiens, avec des scènes crues et prenantes, loin des clichés souvent malaisants et du male gaze. C’est probablement en cela que Love Lies Bleeding est un film queer. Il ne met pas simplement en scène des héroïnes bi et lesbienne, mais nous propose un regard franc sur leur relation. La sexualité de Jackie et Lou est traitée comme le serait n’importe quel rapport, sans quête d’un sensationnalisme déplacé, sans voyeurisme. On sent que la connexion entre les deux femmes n’est pas dictée par un quelconque fantasme extérieur : il y a quelque chose d’authentique à leurs sentiments comme à leur sexualité.
L’alchimie entre les deux actrices est une des clés du succès du film. Kristen Stewart crève l’écran dans la peau d’un personnage nuancé, protecteur, loyal et parfois impuissant. Katy O’Brian est quant à elle un véritable coup de cœur dans son rôle de culturiste incontrôlable, dangereuse et sensible. Il y a un vrai plaisir à suivre au travers du film l’évolution de ces femmes solidaires et fortes, y compris dans leur vulnérabilité. Les autres personnages (interprétés par Ed Harris, Jena Malone, Anna Baryshnikov et Dave Franco), complexes et aux multiples couches, participent également à la richesse du récit.
Œuvre fantastique dans tous les sens du terme, Love Lies Bleeding croise les genres avec maîtrise, les déplace, leur donne d’autres contours. Et rappelle la fibre de Thelma et Louise, d’American Honey ou encore…d’Hulk. Avec des décors eighties, à la fois colorés, jouissifs et sensoriels, Rose Glass nous propose un thriller aussi chamarré que sombre, où les couleurs vives et les nombreuses touches d’humour tranchent avec la violence, la précarité et la détresse des personnages. Entre biphobie, filiation toxique, corruption et romantisme, le film se permet de brasser un tas de sujets différents, à un rythme soutenu, sans jamais perdre son spectatorat. Oscillant entre film d’auteur et œuvre grand public, Love Lies Bleeding est comme un shot de gingembre, il électrise. Un précieux condensé d’absurdité, de sang et de drame.
RÉALISÉ PAR : ROSE GLASS
AVEC : KRISTEN STEWART, KATY O’BRIAN, ED HARRIS, JENA MALONE
PAYS : ÉTATS-UNIS
DURÉE: 104 MINUTES
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