Déconstruction du film noir

D’abord acteur, puis metteur en scène au théâtre, Claude Schmitz réalise trois moyens métrages à partir de 2015 avant de sortir en 2021 son premier long métrage, Lucie perd son cheval, pensé comme une prolongation du spectacle Un Royaume, reporté à l’époque pour cause de pandémie. Dans une interview accordée lors du Festival de Cannes en mai dernier, le réalisateur nous expliquait que son nouveau film, L’Autre Laurens (présenté à la Quinzaine des cinéastes 2023), était né du rapport schizophrénique que ce dernier entretient avec le septième art, de l’amour équivalent que le natif de Namur porte à deux courants a priori irréconciliables du cinéma : la série B d’action américaine des années quatre-vingt et le cinéma d’auteur de la modernité européenne. Le second long-métrage du réalisateur et metteur en scène belge se présente, en effet, comme une œuvre protéiforme aux inspirations cinématographiques multiples. Et si L’Autre Laurens doit quelque chose au théâtre, c’est d’abord la place centrale qu’y tiennent les comédiens, ensuite et surtout la distance que prend Claude Schmitz avec le récit fictionnel pour en interroger les formes canoniques.
Détective privé sur le retour, Gabriel Laurens (Olivier Rabourdin) se voit persuadé par sa nièce Jade (Louise Leroy) de partir enquêter sur le décès suspect de François Laurens, frère jumeau de l’un et père de l’autre. S’amorce ainsi le récit typique du film noir qui servira de terrain de jeu au cinéaste pour rebattre les codes du genre et les questionner. Car L’Autre Laurens ne se cantonne pas au seul genre du film noir mais effectue des allers-retours avec la série B d’action, le western, la comédie et le film familial. Ses personnages répondent aux besoins du genre mais sont parés d’atours peu communs, à l’image de ce duo de flics incompétents, supposément originaires du sud de la France mais affichant un accent belge prononcé. Autre exemple, le personnage d’Olivier Rabourdin, dont la mine patibulaire renvoie à celle de certains acteurs mythiques du cinéma classique français, dénote au fond avec les stéréotypes de l’enquêteur chevronné par sa relative inefficacité. Schmitz convoque ainsi des clichés cinématographiques pour mieux les tordre. Et lorsque celui-ci recrée de manière ostentatoire l’univers visuel archétypal d’un certain cinéma hollywoodien (exemplairement, la patine « néon » des plans de la boîte de nuit perdue au milieu du désert) ce n’est pas par fétichisme mais bien pour renvoyer les spectateurs à l’imaginaire cinématographique que le réalisateur souhaite interroger.
Si ce patchwork esthétique n’était pas suffisant pour acter la distance que le film prend avec la fiction pure, Claude Schmitz ira jusqu’à faire dire à l’un de ses personnages que ce qu’il est en train de vivre est « un mauvais film », sorte de « point méta » du récit. Pourtant, malgré l’effet de distanciation assumé, Claude Schmitz ne renie rien du plaisir de la fiction et du grand spectacle, comme en témoigne la séquence d’action grandiloquente qui clôture le film.
L’Autre Laurens reprend avec ambition un sujet qui traverse tout le travail du réalisateur : les formes de récit et leur portée esthétique. Le film bénéficie d’une liberté de ton qui, couplée à l’irrévérence réjouissante avec laquelle le cinéaste s’empare d’un pan de l’histoire du cinéma, suffit à compenser le léger sentiment de disharmonie que l’hétérogénéité du film peut produire par instants. Reste enfin ce je-ne-sais-quoi de belgitude qui colore le film et qui, pour les compatriotes du réalisateur, ne manquera pas de charme.
RÉALISÉ PAR : CLAUDE SCHMITZ
AVEC : OLIVIER RABOURDIN, LOUISE LEROY, MARC BARBE
PAYS : BELGIQUE, FRANCE
DURÉE : 117 MINUTES
SORTIE : LE 18 OCTOBRE