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Critique : La Salle des Profs d'İlker Çatak

Une ombre au tableau

© Judith Kaufmann

Nombreux sont les films sur l’école sortis ces dernières années pour en révéler les coulisses pas toujours roses, mais aussi pour mettre en avant le rôle des professeur·es et leur dévouement envers leurs élèves. C’est notamment le cas d’Un métier sérieux de Thomas Lilti, sorti l’année dernière. 


Dans La Salle des Profs, du réalisateur allemand İlker Çatak, l’école (avec ses classes, ses escaliers, son gymnase) constitue le lieu d’un huis-clos oppressant où la tension s’accumule, sans jamais vraiment finir par exploser. Construit à la manière d’un thriller psychologique, le film suit l’enquête de la professeure de mathématiques et d’éducation physique Carla Nowak (interprétée par l’actrice Leonie Benesch), fraîchement arrivée dans un collège. Après une série de vols, les professeur·es accusent les élèves et mettent en place des fouilles et des interrogatoires afin de retrouver le coupable, jusqu’à mettre en cause Ali, un élève d’origine étrangère. 


À l’inverse de ses collègues, Carla se prononce contre ces manières de faire, d’autant plus que ses soupçons se portent rapidement vers une adulte qui travaille dans l’école. Cette découverte ébranle sa classe, puis l’école tout entière, alors que les élèves, bientôt suivi·es par leurs parents, se rebellent contre leur professeure, et qu’une ambiance paranoïaque se répand. De plus en plus isolée de ses collègues, Carla perd la confiance de ses élèves et la direction de l’école réagit par des mesures autoritaires.


Le film fait le pari d’interroger cette autorité que les professeur·es possèdent sur les élèves, même dans une école où les jeunes délégué·es de classe sont invité·es aux réunions et ont leur mot à dire. Comment faire de l’endroit où l’on forme les citoyens et citoyennes du futur un lieu réellement démocratique ? À l’école, les élèves obéissent aux professeur·es. Que se passe-t-il quand ce n’est plus le cas ? L’école est-elle prête à recevoir ces remises en question avec ouverture ou se base-t-elle uniquement sur le respect sans faille de la hiérarchie ? À ce titre, une scène centrale du film est l’interview de Carla pour le journal de l’école dans ce contexte tendu. Les rôles y sont inversés : d’habitude, c’est la professeure qui questionne ses élèves, mais ce sont les élèves qui passent cette fois-ci la professeure au grill. 


Si le long-métrage se concentre sur la longue descente aux enfers de Carla, qui s’accompagne d’une bande-son de plus en plus stridente, il n’oublie pas de s’intéresser à ce que la professeure perçoit des relations entre les élèves, qu’il s’agisse du harcèlement ou de la solidarité. Observer les relations humaines au sein d’une même classe et d’un même établissement scolaire permet au réalisateur de regarder notre société dans les yeux, à travers le regard rempli d’angoisse de la professeure. Avec une caméra qui s’attarde souvent sur son visage, Leonie Benesch montre une grande intensité dans son jeu et transmet l’angoisse et l’injustice qui pèsent sur elle. Le film dénonce le racisme, les préjugés, les jugements hâtifs, des sujets qui font écho aux enseignements de la professeure. Pour Carla, les événements qui s’enchaînent et finissent par la dépasser sont autant de moments d’apprentissage pour ses élèves, elle qui souhaite leur apprendre la pensée critique et l’importance de savoir étayer ses affirmations et de continuer à dialoguer.


« Ce qui se passe en salle des profs reste en salle des profs », répond pourtant Carla face aux questions insistantes des élèves. Dans le film d'İlker Çatak, le non-dit et le secret ont des conséquences désastreuses. Comme le Rubik's Cube qu’elle donne à l’un de ses élèves, le film (qui représente l’Allemagne aux Oscars cette année) ne se résout pas de lui-même et la scène finale n’entend pas offrir de réponses simplistes aux enjeux ainsi mis en exergue. 


RÉALISÉ PAR : İLKER ÇATAK

AVEC : LEONIE BENESCH, LEONARD STETTNISCH, EVA LÖBAU

PAYS : ALLEMAGNE

DURÉE : 98 MINUTES

SORTIE : LE 6 MARS

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