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Critique: The Killer de David Fincher

Maitriser le pulsionnel


Après Mank sorti en 2020 qui retraçait le récit biographique de Herman J. Mankiewicz, le scénariste de Citizen Kane, David Fincher revient avec son nouveau film The Killer sur un terrain plus familier. Pour son douzième long-métrage, David Fincher décide en effet de renouer avec le thriller - genre par lequel le réalisateur a façonné son statut de grand cinéaste, à la faveur de quelques films devenus cultes comme Seven (1995), Zodiac (2007), ou encore Gone Girl (2014). The Killer se présente d’autant plus comme un retour aux sources que c’est Andrew Kevin Walker, le scénariste de Seven, qui a écrit ce nouveau film. Adapté d’une bande dessinée française à succès, The Killer suit le parcours d’un tueur à gages dépassionné, cultivant sa banalité, interprété par Michael Fassbender (Inglourious Basterds, Shame, la saga X-Men), qui s’engage dans une entreprise vengeresse après avoir été trahi par ses employeurs. Ce retour au genre qui lui a tant réussi est l’occasion pour Fincher de porter un regard nouveau sur une figure cinématographique dont il s’est souvent emparé, et par extension, de proposer, peut-être, une nouvelle clé de lecture sur son rapport au monde et au cinéma.

© Netflix

Contrairement à Seven ou à Zodiac qui adoptaient le point de vue des enquêteurs, The Killer épouse cette fois celui du criminel et nous donne accès à son monde intérieur au moyen d’une voix off parfois logorrhéique. Avec ce retournement de point de vue, Fincher semble vouloir saisir l’humanité d’un archétype dont il s’est tant servi dans son cinéma, celui du tueur froid. Le détachement émotionnel (caractéristique des tueurs en série) dont fait preuve le personnage interprété par Fassbender nous est présenté comme procédant d’un auto-conditionnement rigoureux. Le personnage refoule consciencieusement toutes ses pulsions humaines, comme l’exprime explicitement cette rengaine que celui-ci se répète dans chaque moment critique : « Reste fidèle à ton plan. Anticipe, n'improvise pas. Ne fais confiance à personne. Ne cède jamais un avantage. N’éprouve aucune empathie… ». Les affects humains sont considérés par le personnage comme une faiblesse, et les étouffer comme le seul moyen de survivre dans ce monde.


Ce personnage quasi robotique, Fincher semble l’avoir taillé spécialement pour intégrer sa mise-en-scène aux mécaniques bien huilées. Le réalisateur américain est notoirement un cinéaste du contrôle et de la maîtrise, qui partage avec Jean-Pierre Melville (dont le personnage du Samouraï a fortement inspiré celui de Fassbender dans The Killer) une certaine fascination pour la décomposition méthodique des mécanismes que constituent les braquages ou les enquêtes policières. Ceci permet en partie d’expliquer pourquoi les scènes du film qui reposent essentiellement sur le jeu d’acteur sont les moins réussies : le corps humain (trop organique) et l’émotion qu’il véhicule, ce n’est pas ce qui intéresse Fincher.


Ce goût pour l’ordre, qui se retrouve dans le choix de diviser son récit en plusieurs chapitres, Fincher semble vouloir le remettre en question dans le premier chapitre du film. Sorte de prologue, cette longue séquence d’ouverture nous introduit le personnage du Killer en situation d’attente dans un immeuble parisien en chantier, préparant visiblement l’exécution imminente d’un contrat. Cette attente est l’occasion pour Fincher de nous présenter le rapport au monde désabusé et rationnel de son personnage, au moyen d’une voix off intérieure et d’un découpage précis qui s’attarde sur ses gestes méticuleux. La mise en scène minutieuse de Fincher apparaît dès lors comme un prolongement direct de la discipline que s’impose le protagoniste. Mais lorsque ce personnage si consciencieux et sûr de lui finit par rater sa cible, l’obligeant à fuir dans la précipitation, on se demande si ce n’est pas le signe que Fincher cherche à repenser sa forme en déréglant le fond.


© Netflix

Cette note d’intention enthousiasmante ne s’actualisera malheureusement jamais dans le film. Car si le personnage du Killer semble, à partir de cette débâcle inédite, devoir lutter pour garder enfouie son humanité, la mise-en-scène restera quant à elle froide et rigoureuse tout au long du film, et le personnage lui-même ne cédera finalement jamais à ses affects. Dans la même veine, Fincher semble mal à l’aise avec cet ennui mis en exergue dans le premier chapitre et annoncé comme relevant d’une matrice formelle, ennui qui ne se retrouvera finalement que dans le faux-rythme du déroulé narratif, alors que les réels moments d’ennuis et d’attente vécus par le personnage seront systématiquement éllipsés. Reste alors un récit remâché, celui de cibles éliminées une à une à travers le monde par un professionnel en quête de vengeance, porté à l’écran avec un savoir-faire incontestable mais sans grande inspiration.


Cette incapacité à réinventer son cinéma, ou du moins le genre du thriller, frustre d’autant plus que Fincher semble disposer de tous les éléments nécessaires pour y parvenir. Mais le réalisateur devrait pour ce faire lâcher du lest, remettre en question ses méthodes bien rodées, et donc inévitablement perdre en contrôle. Rappelons que Fincher a très mal vécu sa première expérience en tant que réalisateur sur un long-métrage (celui d’Alien 3) précisément parce que la mainmise des producteurs l’empêchait d’être entièrement en contrôle sur le tournage, allant jusqu’à renier le film. Peut-être est-ce là le message que le réalisateur veut faire passer aux spectateurs de The Killer, qu’à l’image de son (anti-)héros, celui-ci se refuse de laisser libre cours à ses pulsions de désordre et d’improvisations, de peur, peut-être, que cette perte de contrôle ne lui permette pas de survivre dans le monde impitoyable du cinéma.



RÉALISÉ PAR : DAVID FINCHER

AVEC : MICHAEL FASSBENDER

PAYS : USA

DURÉE : 118 MINUTES

SORTIE : LE 25 OCTOBRE


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