Frankenstein : la création artificielle de Guillermo Del Toro
- Lily Martin
- il y a 22 heures
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Après des dizaines et des dizaines d’adaptation plus ou moins fidèles du roman de Mary Shelley, Guillermo Del Toro ressort à son tour le mythe prométhéen de Frankenstein. Un choix peu surprenant pour le réalisateur dont le goût les ambiances gothiques et fantastiques est bien connu (Crimson Peak, L’échine du diable, La forme de l’eau, Le Labyrinthe de Pan).
Pour cette adaptation, on retrouve un casting de premier choix : Oscar Isaac, Christoph Waltz, Mia Goth, Lars Mikkelsen, Felix Kammerer et surtout un Jacob Elordi totalement transformé et méconnaissable dans le rôle de la créature de Frankenstein. On retiendra son jeu d’acteur en rupture avec ses rôles habituels d’homme charmeur – ici, la souffrance de la créature s’exprime par un corps agile, souple et par un regard touchant. On n’est plus face à un monstre totalement hideux, mais devant à un être fragile à la beauté ambivalente et macabre.

Cette ambiguïté se retrouve aussi dans le personnage de Victor Frankenstein : ni scientifique fou repenti, ni homme sans cœur, son personnage oscille entre une ambition démesurée et un égo fragilisé par son père. Le personnage d’Elizabeth Lavenza (Mia Goth), ici belle-sœur et objet des convoitises de Victor Frankenstein, gagne en pouvoir décisionnel par rapport au livre ainsi qu’en humanité. Malheureusement, cette évolution n’est pas parfaite si elle devient un personnage important et appréciable, elle reste figée dans en une figure d’idéal féminin trop lisse.
L'esthétique gothique est parfaitement maîtrisée par le réalisateur (tableaux anciens, imagerie religieuse inquiétante, instruments médicaux en tous genres, bâtiments décrépis), mais il manque peut-être un soupçon d’expérimentation. En effet, malgré les scènes de dissections explicites et des combats violents, on reste sur un terrain déjà très connu et exploré pour réalisateur qui ne sort pas de sa zone de confort. De plus, la grosse production de Netflix se fait ressentir dans une surabondance des effets spéciaux, créant parfois l’impression d’une création de synthèse qui manque de matérialité. Ce qui est gagné en grand spectacle est perdu en subtilité et en poésie ; trop peu est laissé à deviner ou à comprendre au spectateur, ce que l’on remarque dans une des répliques de William, le petit frère de Victor : “C’est toi le vrai monstre”.

Malgré un univers parfois trop artificiel dans l’image, le monde morbide et onirique de Frankenstein prend tout de même vie par la musique et les costumes. La bande originale, composée par le très grand et multi-récompensé Alexandre Desplat (qui avait déjà œuvré sur La Forme de l’eau), vient sublimer l’atmosphère ancienne et décadente du film. On doit les tenues magnifiques (en particulier celles de Mia Goth) à Kate Hawley, déjà chargée de la garde-robe éblouissante de Crimson Peak. S’ils brillent par leurs couleurs et par les mélanges de textures, les costumes traduisent également les relations entre personnages. Ainsi, un public attentif aura remarqué que les manches en tissus enroulés autour des bras d’Elizabeth Lavenza sur sa robe de mariée rappellent les bandages de la créature ; et l’étreinte maternelle de la baronne Claire Frankenstein toute de rouge vêtue se cristallise en un foulard de la même couleur que le jeune Victor ne cesse de porter. La grandiloquence hollywoodienne entrave Frankenstein, mais elle n’efface pas l’attention au détail qui fait la magie de Guillermo Del Toro et de son équipe.



