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La boxe au cinéma: une affaire américaine?


© Warner Bros/MGM

Alors que Creed III va sortir sur nos écrans le 1er mars, il est tentant de se pencher sur son genre, celui des films de boxe. S’en étant presque arraché le monopole, le cinéma américain en profite pour raconter des fables qui lui sont propres, invitant sur le ring des récits plus larges et une dimension collective. Ces films s’avèrent aussi politiques que la boxe elle-même, par les thèmes qu’ils abordent: le racisme, les classes, les masculinités et l’appartenance.


Le beau et marquant Raging Bull de Scorsese met en scène un De Niro prêtant ses traits à Jake LaMotta, champion de boxe des années 50. Le ring est une parenthèse dans le quotidien fait de querelles familiales et de violence conjugale. LaMotta est macho, jaloux, agressif. Le film s’intéresse à l’homme derrière le boxeur, jusqu’au déclin: la figure d’un ancien champion, marqué par les années, se ridiculisant sur les planches d’un cabaret mais n’éprouvant aucun regret. Il ne s’agit pas ici de morale ou d’idéal ni même de susciter une quelconque empathie envers le personnage.


La gloire de l’anti-héros


Raging Bull ouvre les années 80, œuvre rescapée du Nouvel Hollywood, un genre rebelle, aux antipodes des anciens modèles cinématographiques américains, s'intéressant à la vie dans ce qu’elle a d’organique et de banal. C’est l’avènement d’une forme d’errance, peut-être un effet miroir de ce que traversaient les Etats-Unis la décennie précédente, de contestations politiques et sociales (guerre au Vietnam, chômage…). Les modèles, désavoués, laissent une place vacante.


D’autres récits peuvent alors émerger: ceux des êtres à qui on n’accordait aucun intérêt, comme si leurs histoires étaient des non-lieux. On découvre ainsi Rocky: boxeur sans perspective, gagnant sa vie en récupérant les créances d’un gangster. Rocky Balboa symbolise l’Amérique où rien ne brille jusqu’à ce qu’il ait l’opportunité d’affronter le champion en titre, Apollo Creed. Sylvester Stallone lui-même, qui incarne le boxeur, traverse cette crise de plein fouet: il n’a pas encore décroché de rôle réel sauf dans un film érotique et a même connu une période à la rue. C’est probablement cela qui nourrit ce scénario authentique.


La vraie lutte se trouve en dehors du ring qui n’agit que comme le miroir de batailles personnelles aux dimensions pourtant collectives. Que Rocky gagne ou perde n’a aucune importance, le simple fait de sa présence dans un espace où son existence est conscientisée, est une victoire. C’est un héros d’un genre nouveau, pas au sens clinquant du terme: il a du relief entre autres parce qu’on ne miserait pas sur lui. C’est pour ça que le premier volet de la saga est une œuvre formidable. Par la suite, l’oeuvre perdra de son âme et de son intérêt en faisant du personnage principal un archétype un peu grotesque de la superpuissance étatsunienne, il affronte des adversaires sans complexité qu’il bat sans être crédible, et les films deviennent une sorte de spectacle lassant, parade matérialiste et viriliste.


© United Artists

Émergence des marges


Maggie Fitzgerald (Hilary Swank) est aussi le fruit de marges, serveuse dans un snack, l'héroïne de Million dollar baby (Clint Eastwood, 2004) récupère les restes sur les assiettes, montrant par ce simple geste la confrontation permanente et absurde entre la faim et l’opulence au pays de l’oncle Sam. La boxe, devient le symbole d’une lutte intime contre le statu quo. On peut y voir une incursion timide d’un rêve américain faiblard: le portrait un peu manichéen entre la famille cruelle, pauvre et opportuniste d’une Maggie solaire et combative. Néanmoins, on est loin d’un bond irréaliste, l'œuvre très réussie d’Eastwood, se concentre davantage sur une réflexion plus métaphysique au sujet de l’existence, son sens et sa valeur.


La plus-value de Million dollar baby c’est aussi de mettre un personnage féminin au centre. Cela permet de saisir un autre point de vue, de réinterroger la filiation et la transmission d’une façon différente: le lien père-fille s’oppose aux autres films qui font de la boxe un héritage presque exclusivement masculin. C'est le cas dans les films Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, spin-off de Rocky - même si cette filiation-là est teintée d’une autre symbolique intéressante - mais également dans The Fighter.


L'œuvre de David O. Russell sortie en 2010, s’intéresse à l’histoire de Micky Ward. Ce dernier cherche à échapper à un échec programmé: il vient d’une famille solidaire mais toxique et dysfonctionnelle, d’une ville où l’on peut lire sur les murs l’enlisement d’une classe ouvrière sans emploi, sans but. Si le crack est une échappatoire, la boxe en est une autre. Celle de l’Amérique des coulisses, qui a besoin de s’extraire du cycle du désoeuvrement. La victoire de Micky devient celle de toute une communauté “la fierté de Lowell”, une sorte de dignité reconquise. Micky devient le champion que son frère n’a pas été. C’est un flambeau qui se transmet de frère à frère. Néanmoins, la figure masculine est quelque peu nuancée: on a celle du père effacé par le charisme de la mère, qui est clairement le socle de la famille et endosse le rôle de cheffe et d’agent de ses fils; celle du frère, Dicky, qui se cherche une consistance en s’accrochant à une victoire passée sans faire face à ses échecs actuels et Micky ayant du mal à s’imposer dans ce contexte familial, surtout face à une mère autoritaire.



© Warner Bros

La boxe est politique


Dans Ali (Michaël Mann, 2001) si les combats restent individuels, ils permettent au grand sportif de devenir le porte-voix de luttes communautaires et de frapper en plein dans les incohérences de l’Etat impérialiste qu’il dénonce. Boxeur génial, paradeur au verbe acerbe (Will Smith propose une interprétation fidèle et brillante du champion) il tient des positions militantes fortes autant pour les droits civiques des personnes noires aux Etats-Unis que sur la guerre au Vietnam. Le ring et la victoire sont des espaces d’affranchissement que Mohammed Ali transformera en tribune politique.


Quasiment à la même période, le boxeur Rubin “Hurricane” Carter, est détenu une vingtaine d’années pour un triple meurtre qu’il n’a pas commis (Hurricane Carter de Norman Jewison, 1999 avec Denzel Washington dans le rôle-titre). Adaptant une histoire vraie,le film s'appuie presque entièrement sur le potentiel émouvant de celle-ci.


De la sortie de Rocky I en 1976 à Creed : L’Héritage de Rocky Balboa, en passant par Ali et Hurricane Carter, on perçoit un déplacement des luttes anti-racistes aux Etats-Unis. Creed est contemporain du mouvement Black lives matter. Même si ce n’est pas évoqué dans les deux premiers volets, mis à part quelques allusions elliptiques à l’appartenance, le sujet reste en filigrane des films, ne fut-ce qu’au travers du prisme de la représentation et du changement de point de vue: le spin-off se concentre sur le fils d’Apollo Creed, sorte d’incarnation de Mohammed Ali.


Avec Creed I et Creed II, Ryan Coogler (Fruitvale Station, Black Panther II: Wakanda Forever) et Steve Caple Jr (The Land, Transformers: rise of the beasts), proposent un trait d’union symbolique entre passé et présent: ils vont jusqu’à créer des liens presque familiaux entre Rocky Balboa et le héros, Adonis Creed. L’héritage n’est pas que sportif, tant les références aux précédents opus sont nombreuses et raviront certainement les nostalgiques.


Reste néanmoins à voir si pour Creed III, Michael B. Jordan (Black Panther, Creed I et II) qui passe pour la première fois derrière la caméra, misera sur le divertissement à succès ou s’il proposera un scénario et des personnages avec davantage d’épaisseur, en creusant les enjeux évoqués dans le film précédent (maladie, réconciliation, appartenance, handicap) ou en en proposant d’autres.


© Warner Bros









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