Stephen King : Faut-il trahir ses romans pour faire de bons films ?
- Adrien Corbeel
- il y a 7 jours
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De toutes les adaptations de Stephen King, la plus populaire et la plus admirée demeure, 45 ans après sa sortie, le Shining de Stanley Kubrick. C'est aussi une des adaptations les plus infidèles d'une de ses œuvres, une «trahison» du roman original telle que King l'a complètement répudiée. L'œuvre avait en effet fait de Jack Torrance un homme monstrueux, au-delà de toute salvation, un choc pour le romancier américain qui avait mis beaucoup de lui-même dans ce personnage alcoolique, et dans la rédemption finale de celui-ci. Le dégoût fut si grand qu’il scénarisa en 1997 une mini-série, adaptation fidèle et malheureusement fort oubliable.
De là à dire qu'il faut être complètement infidèle à King pour réussir à le porter à l'écran avec succès constitue sans doute une exagération. Des films comme Misery ou Stand By Me, tous les deux signés Rob Reiner, restent fort proches des textes d'origine (quelques petites libertés mises à part), et comptent parmi les meilleures adaptations de Stephen King. Mais il est également vrai que dans beaucoup de cas, prendre ses distances avec ce qu’écrit n’est pas une mauvaise idée.

Même un cinéaste fan de King comme Mike Flanagan (dont nous évoquons le Life of Chuck dans les pages précédentes) peut en attester. En 2017, il est parvenu à porter à l’écran un des romans les moins aimés, Jessie. Réputé inadaptable, ce récit qui se passe en grande partie dans l’esprit de son héroïne, menottée à un lit, ne se prête à priori guère au grand écran. Tout en conservant les grandes lignes du récit, le cinéaste en change de multiples éléments narratifs pour en faire quelque chose de plus cinématographique. Son plus grand défaut ? Avoir conservé la fin, superflue et grotesque, du roman.
C’est presque systématique avec les romans de King : on enchaîne les chapitres avec avidité, pour se retrouver étrangement désappointé par les dernières pages. Ce talon d’Achille, que même ses fans les plus ardents lui reconnaissent, a mené plusieurs adaptations à altérer les fins. C’est le cas de The Mist de Frank Darabont qui transforme la conclusion un peu vague de King en un climax diabolique.

Mais le plus souvent, le septième art gomme les aspérités de King. Et si on est gré à Andrés Muschietti d’avoir complètement fait l’impasse sur la fameuse “orgie d’enfants” dans son adaptation en deux parties de Ça, on peut regretter que cette adaptation tout à fait convenable érode quelque peu la puissance maléfique convoquée par le roman de King, et la rendre presque banale. Difficile aussi de ne pas être déçu devant le Simetierre de 2019, qui s’appuie sur des jump-scares peu efficaces pour provoquer la peur, là où le roman de King créait un extraordinaire sentiment d’angoisse et de désespoir. Firestarter et The Boogeyman, pour citer d’autres exemples récents, souffrent du même problème : ce n’est pas tant leurs déviations du récit qui pose souci, mais leur incapacité à traduire la terreur de l'œuvre de King, recyclé à travers un imaginaire horrifique finalement assez conventionnel.
A vrai dire, les meilleures adaptations des romans de King sont souvent le fait d’auteurs avec une patte bien marquée, comme Brian De Palma (Carrie), John Carpenter (Christine) ou David Cronenberg (Dead Zone). C’est à travers une sensibilité qui leur est propre que ces cinéastes parviennent à mettre en valeur les talents de conteur de King…quitte à lui désobéir quelque peu. Et n’en déplaise à ce dernier, le film de Kubrick est de cette catégorie-là : une trahison qui contredit le texte original, mais l’enrichit et le complexifie.

Mike Flanagan ne s’y est d’ailleurs pas trompé avec son adaptation de Doctor Sleep, la suite qu’a écrite King à Shining. Dans ce curieux objet filmique, Ewan McGregor incarne Danny Torrance, le fils de Jack, qui revit à sa manière les tourments de son père. Tout en étant fidèle aux questions de rédemption si chères au romancier, le réalisateur change la fin, et la place au cœur du Overlook Hotel, tout en convoquant allègrement les images du film horrifique de Stanley Kubrick - nous offrant une fascinante tentative de réconciliation entre ces deux auteurs.