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Resurrection, notre Palme de Cannes 2025

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

Resurrection, de Bi Gan
© Festival de Cannes

Cannes, c’est aussi une histoire de légendes et de mythes qui s’écrit avant, pendant et après le Festival. À ce jeu-là, Resurrection occupe une place de choix dans l’édition 2025. Alors que l’on se demandait fébrilement si le film serait terminé à temps et s’il passerait l’étape de la censure chinoise, le suspens a pris fin cinq jours seulement avant le début des festivités quand il a enfin été annoncé en Compétition. Que l’œuvre la plus audacieuse de cette année ait été auréolée d’un caractère aussi événementiel et d’une telle aura n’est sans doute pas un hasard ! 


Le 22 mai, après huit jours de Compétition, aucun choc n’était encore venu électriser, troubler, fasciner et/ou déranger les festivalier.ère.s. Or, un art qui ne bouscule pas, les codes et ses modèles, est un art comateux. Mais, une poignée d’irréductibles, toujours hanté.e.s par Long Day's Journey into Night (2018), le précédent long-métrage de Bi Gan — dont nous faisons partie —, y croyait dur comme fer : tant que Resurrection n’avait pas été montré, tous les espoirs étaient permis.


Dans un futur post-apocalyptique, les humains ont perdu le droit de rêver. Les rebelles qui essayent de le faire en cachette s’appellent les « Rêvoleurs » et ils s’exposent à la traque des « Grands Autres ». Une agente (Shu Qi, hypnotique dans chaque plan du prologue expressionniste) recherche un beau jeune « Rêvoleur » (Jackson Yee) qui ne cesse de lui échapper. Mais, lorsqu’elle le retrouve, elle devient sa protectrice et lui offre cent ans de rêves. En le réanimant, elle nous plonge avec le « Rêvoleur » dans une odyssée onirique, à travers six segments indépendants, dans l’histoire du XXe siècle chinois avec pour moteur la magie du septième art. Du muet à la science-fiction, en passant par le conte fantastique, un drame paternel et le film de vampires, ces hommages sont autant de poèmes sensoriels qui s’articulent pour former une œuvre-monde envoûtante, viscérale et à la beauté terrassante. 

Resurrection, de Bi Gan
© Festival de Cannes

Dès son prologue, dans lequel l’agente endosse le rôle de guide-créatrice et de narratrice en pénétrant avec son « Rêvoleur » dans le cinématographe, Resurrection agit comme une déflagration synesthésique et la promesse d’un voyage dans un fantasme de cinéphile. Des clins d’œil à Méliès, Murnau, l’expressionnisme allemand (Le Cabinet du docteur Caligari, Nosferatu) et une créature dotée d’un projecteur nous propulsent dans un dédale d’images qui s’entremêlent avec une fluidité hallucinante. Si les segments qui suivent n’ont pas tous le même impact (le polar qui cite La Dame de Shanghai d’Orson Welles et les amoureux vampiriques sont les plus éblouissants) et que certains demandent d’accepter une part d’ennui, la maîtrise prodigieuse dont fait preuve Bi Gan, à 35 ans et en seulement trois longs-métrages, a de quoi couper le souffle. Car, de cet éclatement qui défie les règles spatio-temporelles (avec notamment un plan-séquence dantesque à l’aube de l’an 2000) et de ce foisonnement audiovisuel de références, de symboles, de métaphores, de couleurs, de rimes et d’échos poétiques, le réalisateur chinois tire une expérience-fleuve qui se vit plus qu’elle ne s’analyse — n’en déplaise aux esprits chagrins qui ont besoin de tout comprendre pour accepter de se laisser saisir. Réduire Resurrection à une somme d’éléments à décortiquer et à décoder revient à passer à côté de la démarche d’un créateur qui ose encore rêver d’une échappatoire. Bi Gan le confiait d’ailleurs en conférence de presse : « Si le monde n’était pas aussi chaotique qu’il l’est actuellement, je pense que j’aurais continué à faire des films avec un punch plus personnel, mais, là, j’ai eu envie de faire quelque chose de plus épuré et surtout de pouvoir apporter une sorte d’apaisement et de réconfort dont nous avons tous tant besoin ». 


Que le jury, présidé par Juliette Binoche, ait décerné à Bi Gan un « prix spécial du jury » décoratif et cosmétique ressemble à s’y méprendre à une tape sur l’épaule, presque condescendante, tant un geste aussi libre que celui-ci mérite d’être sacré sans équivoque, ni timidité. Tout à coup, l’époque où The Tree of Life de Terrence Malick remportait la Palme d’or, sans chercher le consensus, semble bien lointaine !




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