Les Braises : une approche intime de la contestation
- Thibault Scohier

- il y a 2 jours
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Porté par Virginie Efira et Arieh Worthalter, le nouveau drame politique de Thomas Kruithof est juste mais maladroit.

Si montrer la politique au cinéma est une gageure, rendre grâce à un mouvement social est encore plus difficile. En s’attaquant à l’épisode des Gilets jaunes, le réalisateur Thomas Kruithof ne manque pas d’ambition. Il poursuit, après Les Promesses (2021), son exploration des illusions et des désillusions de la politique française.
Alors que la contestation monte doucement sur les ronds-points, la caméra suit Karine (Virginie Efira) et Jimmy (Arieh Worthalter), couple marié, parents de deux adolescents. Elle est ouvrière dans une usine d’agro-alimentaire ; il gère une petite entreprise de camionneurs. À cheval entre le prolétariat et la petite classe moyenne, iels représentent cette « France d’en bas » – rurale, laborieuse et sans histoire – dont les Gilets jaunes vont bousculer l’équilibre délicat. Alors que Karine se politise petit à petit, Jimmy doit sauver sa boîte en magouillant, convaincu qu’on ne peut pas changer le monde.
La caméra de Kruithof colle aux codes du drame naturaliste : pas d’effets de manche, un focus sur les personnages, l’action est la vie et, ici, la militance improvisée. Lorsqu’elle s’intéresse au travail ou aux actions des Gilets jaunes, cette approche transparente fonctionne à merveille. On montre rarement aussi bien le quotidien d’une usine moderne, l’ouvrière au service de la machine ou encore le management complètement indifférent à l’humanité des travailleur·euses. Il en va de même avec les Gilets jaunes, filmés avec une tendresse étonnante. Une scène de procès expédiée et glaçante montre justement comment la justice peut devenir l’instrument d’une répression sociale. On peut malgré tout regretter que le cinéaste n’ait choisi de se pencher que sur la face lumineuse (l’élan solidaire, l’éducation populaire, la démocratie sauvage) du mouvement en évacuant complètement d’autres dimensions plus problématiques (complotisme, racisme, etc.).

On peut aussi regretter que Les Braises reste prisonnier des écueils de son genre. Le parallèle entre le couple et la révolte, rapidement posé, l’empêche de sortir du drame familial pour vraiment embrasser sa dimension sociale. Même si les dialogues sont finement écrits et encore plus finement interprétés, Efira et Worthalter offrant une performance impressionnante, la réalisation ne suit pas. La puissance du cinéma naturaliste et de son approche brute, et parfois sèche, vient de sa capacité à décrire des milieux et des systèmes. Freiner sans doute pas un certain manque de moyen, Kruithof ne sort jamais de la lorgnette des individualités, même dans les scènes de foules ou d’actions collectives.
À ce compte, le film porte mal son titre. Sa mélancolie et sa sécheresse le rapprochent plutôt des cendres ; celles d’un mouvement social étouffé et d’un couple qui s’éteint. Drame de bonne facture, tentative sincère de rendre aux Gilets jaunes une dignité dont on les a souvent privés, il ne parvient jamais à faire rougeoyer les braises et à transmettre en profondeur le sentiment de révolte qui fait les incendies sociaux.
Avec Virginie Efira, Arieh Worthalter, Katia Crivellari. France, 102 minutes.



