Nos 3 coups de cœur de la 82e Mostra de Venise
- Léa Dornier
- il y a 12 minutes
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1 | “L’Étranger” de François Ozon
Meursault ne croit en rien, à commencer par lui-même. L’écriture impénétrable de Camus semblait hors de portée du cinéma. Mais François Ozon s’y jette à corps perdu. Avec langueur et dépouillement, il s’autorise une relecture sensuelle qui procure le même vertige face à l’absurdité de l’existence.
Un noir et blanc soyeux plante Alger en 1938, et Benjamin Voisin en Meursault. Il a le magnétisme d’un Delon. Charnel et absent, il fume, baise, tue le temps plus qu’il ne vit. Spectateur de sa propre vie, il traverse l’écran, le corps suintant et le visage tourné vers le soleil.
Le texte de Camus ne s’invite que deux fois, comme des éclats de conscience dans le néant. Tout le reste se joue dans le silence, les gestes, la répétition des “je ne sais pas” qui giflent la face du monde.
Mariage ? Culpabilité ? Deuil ? Tout ça n’a pas de sens. Sur la plage, l’ennui devient lancinant, presque érotique. La passivité prend chair. François Ozon signe un film élégant et tendu, qui conquiert par sa torpeur hypnotique.

2 | “No other choice” de Park Chan-wook
Dès l’ouverture, on nous jette au visage un bonheur acidulé. Barbecue en famille, maisonnette bucolique, adorables marmots et toutous qui nous marchent dans les pattes. La joie se fait rapidement hacher par les rouages d’une usine de papier : le père vient de s’y faire virer.
À coups de séance d’hypnose en groupe, où il se tapote le front en se répétant des pensées positives, ce brave homme tente de se remettre dans les rails du plein emploi. Car sinon, sa femme le prévient, ils devront vendre la maison, et résilier l’abonnement au Bonzaï magazine - son passe-temps favori.,
Rien ne marche, alors le héros joue sa dernière carte. Et celle-ci sera sanglante. “Je n’ai pas d’autre choix”, se répète-t-il, comme la sentence d’un système qui fait de l’individu un pion sacrifiable.
Park Chan-wook tord les couleurs du monde ordinaire, les teintent de détails subversifs et des gags silencieux, sur fond musical à outrance. Avec audace, cette satire coréenne de la précarité pointe surtout du doigt ceux qui ont peur de perdre leurs privilèges. Un savoureux mélange des genres, plein d’inventivité.

3 | “A sad and beautiful world” de Cyril Aris
Comment continuer à s’aimer quand le monde s’effondre ? Réalisateur de deux documentaires acclamés, Cyril Aris se frotte avec courage à la fiction pour tenter d’y répondre.
Nino et Yasmina sont nés le même jour, dans le même hôpital de Beyrouth, sous le fracas des bombes. Ils se retrouveront à plusieurs moments clés de leur vie, étalés sur trois décennies.
Plus qu’une simple romance, le film danse pour ne pas sombrer. Et le réalisateur parvient à ne pas basculer dans le cliché ou le manichéisme. L’histoire se joue dans un Liban qui tombe en ruine, reflet d’une société qui vacille, tout comme le couple du récit. La narration pulse au rythme de Beyrouth, de sa lumière et de son souffle.
Entre cinématographie vibrante et images d’archives, fiction et réalité, passé douloureux et avenir incertain, le film s’offre comme une bouffée d’espoir.
