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Netflix rachète Warner Bros : est-ce la fin du cinéma ?

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe à Hollywood. Ce 5 décembre, Netflix annonçait l’acquisition de Warner Bros pour le faramineux montant de 72 milliards de dollars. Pourquoi ça inquiète l’industrie et les cinéphiles, et quelles seraient les conséquences ? Décryptage en 7 points.


Harry Potter
© Warner Bros BE

Commençons par le commencement : fondé 1924 par les frères Warner, d’où son nom, le célèbre studio Warner Bros a changé de nom et de propriétaire pas mal de fois en un siècle (TimeWarner, Warner Communications, Warner Media…). Depuis sa fusion avec le groupe médiatique Discovery Inc en 2022, son nom complet actuel est Warner Bros. Discovery. Les trois pôles principaux du conglomérat sont : les films avec le studio Warner Bros Pictures (qui inclut les franchises comme Harry Potter, Lord of the Rings…mais aussi l’univers DC), le streaming avec sa plateforme HBO Max (anciennement HBO tout court) connue pour des séries à succès comme Succession, Les Sopranos… Et enfin, le pôle télévision Discovery Global (avec des chaînes comme Discovery Channel, ou CNN). Aux côtés de Paramount, Disney, Sony et Universal, Warner fait partie de ce qu’on appelle les ‘Big Five’,  alias les 5 grands studios de cinéma d’Hollywood, qui dominent la quasi-entièreté des productions américaines. De son côté, Netflix était à l’origine un service de location de DVD par correspondance dans les années 90. C’est en 2007 que la compagnie entame sa transition vers le streaming. Au fil des années, la plateforme, forte de son succès, a lancé ses propres productions de séries et de films, avec le succès qu’on connaît (Stranger Things, Squid Game, KPop Demon Hunters…). Tant et si bien qu’aujourd’hui Netflix est un des trois leaders mondiaux du marché, avec Disney+, Prime Video et… HBO Max. Ces derniers mois, les négociations et spéculations allaient bon train sur le futur de Warner Bros. Le studio projetait de se séparer de son pôle télévision, et récemment le studio Paramount avait fait une offre d’acquisition du reste de la compagnie. Quand soudain plot twist : Netflix a annoncé la semaine passée se porter acquéreur du studio. La nouvelle a suscité une vague de vives réactions et inquiétudes à Hollywood mais également chez les internautes et cinéphiles du monde entier. Pourquoi ?

 

1.    Une concentration du marché


Si vous avez déjà joué au Monopoly, vous connaissez le principe : le monopole du marché est une menace à la pluralité des offres et un danger pour la compétitivité. Un exemple récent chez nous : il y a quelques mois, l’annonce de la fusion des groupes de presse Rossel et IPM a suscité les mêmes inquiétudes. Aux USA, il existe des « lois antitrust » dont le but est de protéger la concurrence économique, en interdisant les monopoles et les ententes qui nuisent aux consommateurs et aux marchés. La grande question est : seront elles appliquées ? En tout cas en 2017, elles n’ont pas empêché le rachat de la Fox par Disney. Le DOJ (Department of Justice), ainsi que le gouvernement Trump, devront se prononcer. Tout comme l’Autorité Belge de la Concurrence (ABC) doit encore se prononcer sur le dossier Rossel-IPM… Un rappel que les rouages de la justice sont parfois très lents.


2.    Un clash de la chronologie des médias


Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre qu’un service de streaming qui rachète un studio de cinéma n’augure rien de bon pour le grand écran. Ted Sarandos, le PDG de Netflix, a déclaré que le cinéma “est un concept dépassé’ et que le déclin des cinémas ‘ne le dérange pas’. Son but avoué est que les gens restent chez eux à streamer sur leur canapé. Et si certains films Netflix sortent parfois en salle quand même, ils sont l’exception qui confirme la règle (projections-événement ou pour que le film soit éligible aux Oscars notamment). Concernant le destin des films Warner si le rachat se concrétise, l’entreprise a annoncé qu’ils sortiraient bien en salles comme prévu… mais évoque déjà l’idée d’un temps de battement plus court entre le grand et petit écran. Un chamboulement conséquent de la « chronologie des médias » comme on l’appelle chez nous, soit le laps de temps entre la sortie salles, le streaming, puis la télé. Ces dernières années, avec l’évolution des habitudes de consommation de contenus et les menaces de piratage, celle-ci a déjà été considérablement revue. Avant il fallait patienter environ un an entre le grand et le petit écran. Désormais c’est plutôt 6, voire 4 mois. Si ce créneau se réduit encore davantage, cela pourrait fort probablement pousser encore moins le public moyen à se lever du canapé… 

Dune, de Denis Villeneuve (2019)
© Warner Bros Pictures

3.    Vers une hausse des prix ?


L’acquisition des contenus de Warner Bros entraînerait évidemment une augmentation considérable du catalogue Netflix. On parle de grands classiques du septième art comme Citizen Kane ou Casablanca, jusqu’aux séries à la renommée mondiale comme Game of Thrones ou Succession. Avec de tels géants, la plateforme a un argument en or pour augmenter le prix des abonnements. 


4.    Perte d’emplois


“Le rachat par la plus grande entreprise mondiale de streaming de l'un de ses principaux concurrents (...) entraînerait des suppressions d'emplois, une baisse des salaires, une détérioration des conditions de travail pour tous les professionnels du divertissement.” Dans son communiqué publié dans la fouléde de l’annonce, la Writer’s Guild of America (syndicat des scénaristes) s’inquiète, et à raison, de la potentielle perte d’emplois à venir. On connaît la chanson : à chaque fusion d’entreprises, ce sont généralement les travailleurs qui payent le prix des postes ‘doublons’ qu’il faut désormais éliminer…  C’est pourquoi la WGA appelle clairement à “bloquer ce deal”.


Stranger Things, sur Netflix
© Netflix BE

5.    Et maintenant ?


Tout n’est pas complètement fichu. Déjà, cette opération prendrait entre 12 et 18 mois si elle venait à se concrétiser, le rescindement du pôle télé de Warner Bros étant prévu pour fin 2026. Autant dire que ça ne risque pas d’arriver dans la nuit. Mais surtout, le rachat doit donc être approuvé par les autorités fédérales, et Trump a déclaré que cette fusion “pourrait être un problème”. Et par ailleurs…


6.    ...Encore un plot twist


Ce lundi 8 décembre, coup de théâtre : Paramount, pas ravie de s’être fait couper l’herbe sous le pied, a lancé une contre-offre hostile de rachat pour la somme défrisante de 100 milliards – avec le pôle télé inclus, contrairement au deal Netflix ! Via l’intermédiaire de son PDG David Ellison, Paramount Skydance (son nom complet depuis… une autre fusion, vous l’aurez compris) propose davantage de cash par action, ce qui est un argument financier de poids. Par ailleurs, Ellison entretient de bonnes relations avec Trump. Est-ce que ce serait mieux qu’un rachat par Netflix  ? Ellison argue que son offre est plus compétitive : Paramount est également un studio de cinéma, donc le grand écran ne serait pas dévalorisé. Au contraire, selon lui, ce sera un méga-studio d’autant plus puissant. Est-ce que ça changera la donne ? Suite de la saga dans les prochains jours…  (à lire sur fond sonore du générique de Succession)


7.    Et les cinéphiles dans tout ça ?


Concrètement, quoi faire à part se mettre en position fœtale et pleurer par avance la mort de la salle ? Déjà on respire, Hollywood est loin d’être enterré, les quatre autres studios sont toujours là. Et puis au-delà d’Hollywood et des multiplexes, le cinéma c’est aussi des festivals, des petites salles indépendantes, des centres culturels... Un film n’existe pas que sur le cloud, ou en fichier mp4, c’est aussi des DVD, des Blu-ray en support physique…Comme le vinyle pour la musique, cette forme de consommer de la culture pourrait bien redevenir à la mode. Ce bouleversement de l’industrie est une occasion idéale pour repenser notre rapport au cinéma, au streaming, comment, et à qui va notre argent. Ce qui guide le marché, c’est notre portefeuille et notre façon de consommer. Alors si vous aimez le cinéma et ne voulez pas le voir mourir, dites-le-lui. Allez en salle quand vous le pouvez, tant que vous le pouvez financièrement : une fois de temps en temps entre amis, pour un date, en famille… Il n’y a pas de grande différence entre le prix d’abonnement à une plateforme et celui à un réseau de salles de cinéma (Cinéville, UGC…). Parce qu’au final, ce n’est pas tant une question d’écrans qu’une question de lien : voir un film au cinéma, c’est une expérience sociale. Un moment suspendu, sans téléphone, dans le noir, avec d’autres humains, dans la vraie vie. C’est toujours ça que l’algorithme n’aura pas.


Un petit meme pour la route ?
Un petit meme pour la route ?

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