Resurrection : l'expérience la plus folle de l'année
- Katia Peignois
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 20 heures
Sept ans après Un grand voyage vers la nuit, le cinéaste chinois revient célébrer la force immuable du rêve et du cinéma comme remèdes au manque d’imagination contemporain.

Dans le chaos actuel, où la création est assiégée de toutes parts, l’audace devient une denrée rare. Qu’un geste aussi libre que celui de Bi Gan avec Resurrection existe peut déjà nous rassurer. Qu’il habite notre mémoire depuis sa présentation au dernier Festival de Cannes (où il a été récompensé du Prix Spécial du Jury) à un tel degré que ses réminiscences réactivent encore en nous des émotions inédites tient du miracle.
Dans un futur post-apocalyptique, les humains ont perdu le droit de rêver. Les rebelles qui essayent de le faire en cachette se nomment les « Rêvoleurs » et ils s’exposent à la traque des « Grands Autres ». Une femme semi-consciente (Shu Qi, hypnotique dans le merveilleux prologue) recherche un jeune androïde (Jackson Yee) qui ne cesse de lui échapper. Lorsqu’elle le retrouve, elle le protège en lui offrant cent ans de rêves. En réanimant l’humanoïde, elle enclenche une odyssée, en six segments indépendants, au cœur de l’histoire du XXe siècle chinois et à travers les genres cinématographiques. Du muet à la science-fiction, en passant par le polar, le drame et le fantastique, ces hommages sont autant de poèmes sensoriels qui s’articulent pour constituer, entre réalité et onirisme, une œuvre-monde à la beauté picturale terrassante.

Dès son prologue, dans lequel l’agente incarnée par Shu Qi endosse le rôle de guide et de narratrice en pénétrant dans le cinématographe, Resurrection produit une déflagration synesthésique et offre la promesse d’un voyage dans un fantasme de cinéphile. Des clins d’œil à Georges Méliès, l’expressionnisme allemand (Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau) et une créature dotée d’un projecteur nous propulsent dans un dédale d’images qui s’entremêlent avec une fluidité hallucinante. Si les segments qui suivent n’ont pas tous le même impact (le polar qui cite La Dame de Shanghai d’Orson Welles et celui des amoureux vampiriques sont les plus éblouissants) et que certains imposent des moments d’ennui nécessaire à l’errance, il n’en reste pas moins que la maîtrise prodigieuse de Bi Gan, à trente-cinq ans et en seulement trois longs-métrages, époustoufle et envoûte. Car, d’un éclatement qui joue avec les règles spatio-temporelles (notamment via un plan-séquence dantesque à la fin) et d’un foisonnement audiovisuel de symboles, de métaphores, de couleurs, de rimes et d’échos lyriques, le réalisateur tire une expérience-fleuve sans précédent qui se vit plus qu’elle ne s’analyse — n’en déplaise aux esprits chagrins qui exigent de tout comprendre pour se laisser emporter. Réduire Resurrection uniquement à une somme d’éléments à décoder ou de références à détenir revient à enfermer la démarche de Bi Gan dans un carcan excluant alors qu’elle s’apparente plutôt à celle d’un artiste qui nous convie à prendre des échappatoires dont on a bien besoin.
Avec Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao, Jue Huang. Chine/France, 160 minutes.



