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Rencontre avec Léa Drucker pour Dossier 137 : « C’était un rôle difficile à quitter »

Après son rôle d’infirmière dans L’intérêt d’Adam de Laura Wandel, Léa Drucker se glisse dans un autre métier sous pression : dans Dossier 137 de Dominik Moll (La Nuit du 12) elle incarne une enquêtrice de police dans la France des Gilets Jaunes. Rencontre avec une actrice aussi sensible que sincère.


© Cinéart
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Dossier 137 raconte une enquête sur des violences policières dans le contexte des manifestations des Gilets Jaunes. Est-ce que votre rapport au mouvement des Gilets Jaunes a changé après le tournage de ce film ?

C'est pas que j'ai changé d'avis sur le sujet, mais je vois les choses différemment. A l'époque des manifestations, je travaillais au théâtre, et comme beaucoup de théâtres, on était obligés de fermer à cause de la situation. C'était une période très particulière en France. Je suivais les infos, je lisais la presse, notamment Florence Aubenas qui écrivait sur ‘les gens des ronds-points’...  On était curieux de ce qui se passait. On voulait essayer de comprendre la violence, aussi. Voir ces images terribles, de blessures graves, de gens éborgnés... En préparant le film, j'ai plongé dans tout ça. Et j'ai été très touchée par les histoires, comme celle de cette famille qu'on voit dans le film - c'est une fiction, mais c'est inspiré de faits réels. Ces gens n'ont jamais été reconnus en tant que victimes, ils n’ont jamais obtenu justice. Ça m'a questionnée, en tant que citoyenne, sur l'état de la démocratie. Mais incarner ce personnage d'enquêtrice m'a aussi beaucoup sensibilisée à ce métier, à quel point ça a été difficile aussi, pour la police, d'avoir été dépassée par cette violence. Donc c’était très intéressant d'explorer tout ça, et de sentir toute la complexité de la situation. Avec ce film, Dominik veut parler d'humanité des deux côtés : c'est plus intéressant que de s’attaquer et de se juger les uns les autres. Quand on connait le contexte, on voit toutes les complexités, les couches. C'est très différent que de lire les infos. J'essaie de le dire avec humilité, mais notre travail, ce sont les émotions, et la complexité humaine. 


Comment avez-vous préparé votre rôle d’enquêtrice de l’IGPN (inspection générale de la Police nationale, équivalent français de notre Comité P, NDLR) ?

J’ai rencontré des enquêteurs et enquêtrices de l'IGPN, et j'ai eu beaucoup de conversations avec eux et elles. C’était vraiment la clé pour rentrer dans le personnage. L'enquêtrice que j'ai rencontrée est une ancienne de la Brigade des Stups. Elle adorait son métier, mais elle a été déplacée, car il y a eu des problèmes – comme il peut y en avoir dans n'importe quel métier : des soucis avec la hiérarchie, parfois des cas de harcèlement quand on est une femme, du sexisme... Malheureusement c’est assez universel, donc elle a dû changer de job, quelque part où elle serait plus tranquille. Une autre à qui j'ai parlé a rejoint l’IGPN pour des raisons familiales...  De ce qu'on m'a raconté, quand on travaille à l'IGPN, c'est quasiment jamais par vocation. La vocation de base, c'est d'être dans la police. Mais une fois en place, ils et elles veulent faire au mieux, parce que c’est aussi une façon de donner une meilleure image de la police aux citoyens. Mais ils savent aussi que policier, c’est un métier très complexe, vu comme héroïque pour certaines choses, et ingrat à d'autres endroits. On le voit aussi dans le film. C'est toute la complexité du sujet, et on se doit de raconter ces paradoxes.  


© Cinéart
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« En termes d’humanité, de valeurs, le personnage me ressemble beaucoup »


Le film montre bien pourtant toute la difficulté d’obtenir justice pour les victimes, et particulièrement dans le cas de violences policières… 

Oui, le film raconte les limites de leur métier. Parfois pour raisons politiques. Je ne me prononcerai pas là-dessus, je dirais juste que j'ai ressenti ces limites. Dans un métier comme ça, avec tant de responsabilités, il y a des limites partout. Ce qui est intéressant, c’est raconter une histoire où le personnage, même si c’est une professionnelle et qu’elle est bonne dans son travail, se retrouve confrontée à une situation où elle ne supporte pas ces limites. C'est une bonne histoire de cinéma. Mais je pense que ça arrive en vrai aussi.


Était-ce un rôle difficile ?

Je ne pourrais pas être policière, mais en termes d'humanité, de valeurs le personnage me ressemble beaucoup. Je me sentais connectée et attachée à elle, c’était difficile à quitter comme rôle.


Comme dans L’intérêt d'Adam vous campez une femme investie dans son métier, dont l’empathie et l’humanité l’amènent à questionne les règles d'un système absurde…

Je pense que c’est très intéressant de montrer ce moment, où quelqu’un de très conscient de son rôle et sa responsabilité, prend les choses en main et veut briser les règles. Ça raconte aussi l’humain : on ne peut pas être résumé à nos fonctions professionnelles. Tout le monde peut se retrouver dans une telle situation, celle de sentir les limites, l'idéologie, et aussi la vie. C’est très émouvant de voir des personnages aux prises avec ça. On est tous et toutes confrontés à des systèmes, des règles… On s'en accommode, ou pas, mais parfois c'est très oppressant. Et dans les deux cas, ce sont aussi des femmes assez seules, qui ont la cinquantaine, un âge où on est censé être sage et raisonnable... Mais la vie est plus compliquée (rire). 


Mais le choix raisonnable, c'est le leur…

Oui, je pense aussi !


© Cinéart
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Qu’est-ce qui vous plaît le plus, et le moins dans votre métier ?

Ce que je préfère, c’est l’aspect collectif, le travail d'équipe. Dominik Moll a un processus très collectif, c’est pas le genre de réal’ à bosser dans son coin. L’équipe son, le directeur photo, les comédiens... tout le monde est impliqué. Et c'est ce que j'aime le plus : commencer la journée, mettre en place les choses, la danse collective... Avoir cet espace où on peut être ce qu'on veut, ressentir toutes les palettes d'émotions sans jugement, rendre les choses vivantes. Ce que j’aime le moins... (elle réfléchit). Il y a sûrement quelque chose, mais ça me vient pas. Je pense que le plus dur dans ce travail, c'est de ne pas avoir de travail. Moi heureusement en ce moment ça va, mais j'ai commencé à 18 ans, et quand j'étais jeune actrice, j'ai vraiment galéré. Je me suis demandé si j'allais continuer ce métier, parce que ça ne marchait pas bien.  


Si vous aviez changé de métier, vous auriez fait quoi ? 

Journaliste peut-être (rire) ? De cinéma ! Je ne sais pas si j'écrirais bien. Mais parler de films tous les jours, ça oui, je pourrais me débrouiller !


Avant de se quitter, un film vu récemment que vous avez aimé ?

La trilogie des Before de Richard Linklater (Before Sunrise (1995), Before Sunset (2004), Before Midnight (2013), NDLR) ! La simplicité, l’efficacité, le talent de Julie Delpy et Ethan Hawke… ça m’a fascinée. Je ne les avais jamais vus, et j’ai beaucoup aimé.   



De Dominik Moll. Avec Léa Drucker, Guslagie Malanda, Stanislas Merhar. France, 115 minutes. En salles le 26 novembre. 

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