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Savina Dellicour, l’écriture couche par couche


Pandore de Savina Dellicour, Anne Coesens et Vania Leturcq © RTBF

Réalisatrice et scénariste belge, Savina Dellicour a commencé sa carrière en Angleterre avant de revenir en Belgique pour y tourner son film Tous les chats sont gris, qui a gagné plusieurs prix dont le Magritte du premier film. En plein travail sur la saison 2 de la série Pandore, elle a accepté de répondre aux questions de Surimpressions.


Très tôt dans votre parcours, vous êtes partie en Angleterre. Pourquoi ?


J’ai fait l’IAD (Institut des Arts de Diffusion, ndlr) très jeune, juste après l’école. J’y ai appris énormément de choses mais j’ai eu envie de continuer à me former. J’ai donc intégré la National Film and Television School (NFTS) à Londres, pour en apprendre plus sur le métier de réalisatrice. C’est une école plus spécialisée, car à l’IAD, à l’époque, on touchait un peu à tous les métiers du cinéma. La réalisation m’intéressait parce que j’aime bien interpréter les mots d’une autre personne, en comprendre le sens et leur donner une forme devant la caméra. Finalement, je suis restée sept ans en Angleterre. J’étais très attirée par la manière dont ils dirigent leurs acteurs, comme dans les films de Mike Leigh par exemple. Je ressens le jeu anglo-saxon comme quelque chose de plus incarné et ancré, moins intello. C’est une approche qui me correspond mieux ! J’ai travaillé pour une série qui était assez populaire et diffusée sur Channel 4, Hollyoaks, où j’ai pu m’essayer à différentes techniques cinématographiques. On devait donner un aspect jeune et cool à la série. J’ai pu utiliser un steadicam ou encore faire un travelling en plein milieu d’un dialogue (rires). En 2004, j’ai réalisé mon premier court-métrage en Angleterre, Strange Little Girls. C’est un très beau film d’adolescentes. Ma cheffe op’ sur ce projet était Natasha Braier, qui est depuis partie travailler à Hollywood. Ensuite, j’ai commencé à écrire mon premier long-métrage, Tous les chats sont gris (2015), mais je n’ai pas réussi à le faire financer là-bas. Comme il se base sur mes souvenirs et sensations d’adolescente, je me suis dit que cela avait un sens de revenir en Belgique pour ce projet. De retour à Bruxelles, j’ai rencontré la boîte de production Tarantula et j’ai pu développer mon scénario.


Qu’est-ce qui vous plaît dans le travail d’écriture d’un scénario ?


J’ai commencé à écrire des scénarios par nécessité, car je n’en trouvais aucun qui me plaisait. Il faut dire aussi que c’est plus angoissant et solitaire, il y a le stress de la page blanche. Écrire est une prise de risque : il faut regarder en soi pour découvrir si on a quelque chose d’intéressant à raconter, qui va parler à d‘autres personnes. J’ai donc l’impression que j’avance dans la découverte de qui je suis au travers de l’écriture. J’apprécie aussi beaucoup l’écriture collective de la série Pandore, que je co-scénarise avec Anne Coesens et Vania Leturcq. Ce qui me plaît en particulier, c’est quand un personnage se met à parler tout seul. C’est arrivé pendant l’écriture de Pandore, car on a dû aller très vite, on devait écrire plusieurs scènes en une journée. Cela ne laisse pas la place, ni le temps, pour son juge intérieur. Une porte s’est ouverte en moi et j’ai découvert une zone de liberté que je n’avais jamais connue en écriture. C’est très différent de la réalisation : je viens de finir de réaliser deux épisodes d’une série anglaise pour Netflix, qui s’appelle Who is Erin Carter?, avec un personnage féminin ultra-badass qui casse la figure à tout le monde. J’ai dû apprendre à filmer des scènes de bagarres de deux minutes. C’était une nouvelle expérience de réalisation et j’ai bien aimé ça aussi !


En tant que scénariste, estimez-vous que l’écriture d’une série est différente de celle d’un film?


Oui, je l’ai appris en travaillant sur Pandore. Nous trois, on ne savait pas comment écrire une série, alors on a fait appel à un script doctor, Willem Wallyn, qui a créé la série 1985 diffusée en 2022 sur la RTBF. Il nous a permis de structurer notre travail et d’avancer par couche. En fait, dans une série, les événements ne se résolvent jamais autant que dans un film car il faut que la série puisse continuer, dans une nouvelle saison. Ce que j’ai le plus aimé, c’est le fait qu’une série permette de développer plusieurs facettes d’un même personnage, et de faire changer le point de vue du spectateur sur les personnages. On n’a jamais le temps de faire ça au cinéma. Écrire une série, c’est tisser plusieurs fils de narration ensemble, qui vont finir par s’enchevêtrer et donner des idées nouvelles.


Pandore porte un propos féministe, est-ce que cela été facile à proposer ?


Cela a été assez facile dans le sens où on nous a fait confiance par rapport à l’histoire que développe la série, plus que pour son propos féministe. On a eu beaucoup de discussions très intéressantes mais aussi énervantes sur cette question et notamment sur l’emploi du mot “féministe” pour qualifier la série. C’est un adjectif qui aurait pu braquer certaines personnes, ce n’est pas un thème qui anime tout le monde. Notre producteur, Yves Swennen, a été un bon baromètre car il n’est pas directement touché par ces thématiques mais l’histoire de la série l’a tout de suite intéressé. Au final, on s’est effectivement rendu compte que l'intrigue intéressait beaucoup de personnes, indépendamment de cet aspect-là.


Comment l’idée vous est-elle venue ?


C’est vraiment venu de notre rencontre à toutes les trois, en 2016. On a commencé à parler de tout ce qui nous révoltait. Couche par couche, les lignes narratives ont émergé. Il y a aussi le fait qu’Anne Coesens est une actrice merveilleuse de plus de 50 ans, et que les femmes disparaissent des écrans à cet âge-là. On a donc décidé de créer ce personnage que l’on suit dans Pandore, de filmer la ménopause sans tous les clichés qui entourent cette période de la vie et inquiètent les femmes. Dans notre petit pays, comme les budgets sont plus modestes, on a une plus grande liberté de création. Le propos militant de la série a pu aussi parfois nous bloquer, parce qu’on a voulu rendre nos héroïnes parfaites... mais alors il ne se passait plus rien ! On voulait les protéger. Il a fallu les rendre humaines, qu’elles commettent des erreurs, qu’elles soient vulnérables. On est en train de préparer la saison 2 en ce moment. La première version du scénario est terminée, on va commencer à le réécrire. Le tournage est prévu pour cet été.

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