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Stop-Motion : Du terrifiant au merveilleux, image par image


© Aardman Animations

Avec son artisanat et ses effets “à la main”, l’animation en stop-motion occupe une place unique au cinéma. Et comme les mois qui viennent ne seront pas avares en film utilisant ces techniques, concentrons-nous quelques pages sur ce théâtre de marionnettes parfois superbe, parfois effrayant, mais qui toujours nous émerveille.


De par le travail d’orfèvre que nécessite l’animation, sous quelque forme que ce soit, il n’est pas superflu de rappeler que c’est celle-ci est bien un pan entier du septième art, et non un simple genre. La preuve, vous connaissez toutes et tous des comédies animées, façon Wallace et Gromit, mais aussi des drames épiques comme le Roi Lion, et des films bien plus sérieux comme Valse avec Bachir, ou le tout récent et bouleversant Flee. Dans cet univers vibrant et riche, les techniques sont multiples et aussi complexes les unes que les autres ; en particulier celle du stop-motion, qu’on appelle aussi animation en volume.

Déjà plus que centenaire, cette pratique a été initiée dès les premiers temps du cinéma par l’américain James Stuart Blackton. Animateur déjà chevronné, il réalise The Haunted Hotel en 1907, où s’animent comme par magie un couteau tranchant le pain, ou des assiettes qui se servent elles-mêmes. Et ce n’est que le début. Le stop-motion, ou l’art de déplacer les objets et les corps image par image, crée l’illusion du mouvement et donne vie à l’inanimé grâce à l’illusion cinématographique. De là vont pouvoir découler des centaines de films du monde entier.


Une animation qui donne la vie pour mieux la reprendre


Le stop-motion fascine, entre merveilleux et macabre. Władysław et Irène Starewicz, cinéastes polonais établis en France, le savent bien quand ils réalisent Le Roman de Renard à la fin des années 1930. Cette fable violente où le Renard rusé joue des tours à n’en plus finir aux animaux de la forêt est un chef-d'œuvre, mais aussi la preuve que l’animation peut ressusciter les morts, faire revivre les charognes. Ce n’est pas pour rien que les Starewicz, avant d’être animateurs, étaient d’abord férus d’entomologie, l’étude des insectes. Leurs premiers films mettent d’ailleurs en scène des scarabées qui s'affrontent dans un combat morbide. Et le stop-motion va aller bien plus loin dans ces mises en scène. Alors que le couple français travaille à petite échelle, de l’autre côté de l’Atlantique, le genre a déjà conquis Hollywood, et apparaît dans les plus grandes productions comme Le Monde Perdu (1925) ou King Kong (1933), et ses scènes mythiques. Déjà, le cinéma a compris qu’avec l’animation, tout est possible. Même recréer la vie, pour la détruire ensuite. Et la recréer encore, dans un cycle infini.


© Radio Pictures

C’est exactement ce que feront les cinéastes de la seconde moitié du XXe siècle. Expérimentant des techniques de plus en plus complexes de stop-motion, l’américain Ray Harryhausen invente les squelettes belliqueux de Jason et les Argonautes, tandis que le tchèque Jan Svankmajer réalise sa propre version du conte de Lewis Caroll, un véritable Alice au pays des cauchemars. À cette époque, l’animation en volume n’est pas vraiment le style d’animation qu’on regarde en famille. Elle s’invite par contre dans tous les pans du cinéma, des AT-AT de Star Wars aux combats de Robocop, façonnés par le cinéaste Phil Tippett. Un réalisateur qui, après 30 ans de travail, a sorti en 2021 l’un des films en stop-motion les plus terrifiants de l’histoire : Mad God. Quatre-vingt-trois minutes dantesques dans un univers grandiose et écrasant, un film d’horreur où les échelles des décors vous feront simplement perdre la tête, à l’instar du personnage principal sans nom et sans espoir. Vous reprendrez bien quelques giclées de sang?


Merveilleuse et touchante, son autre facette


Si le stop-motion est peut-être l’animation la plus réaliste, et donc la plus terrifiante, c’est aussi celle qui peut vous faire vibrer par la finesse de ses marionnettes, et par la diversité des émotions que leurs visages peuvent susciter. Plus besoin de vous en convaincre d’ailleurs, si vous avez déjà eu la chance de découvrir le récent Pinocchio de Guillermo Del Toro, le classique et déjà trentenaire Étrange Noël de monsieur Jack, ou encore le formidable Kubo et l’Armure magique des studios Laika. L’animation en volume est aussi le ressort comique derrière le succès mondial des studios Aardman, créateurs du duo Wallace et Gromit. Au cartoon en dessins animés, le stop-motion ajoute le côté palpable de la pâte à modeler, des mécaniques et des subterfuges à peine discrets voire carrément assumés qui la mettent en mouvement, à l’instar de Interdit aux chiens et aux italiens, dont l’on vous parlait plus tôt dans ces pages. L’animation en devient tangible, et nous effleure les pupilles avec délicatesse et délice. Cette technique est devenue aujourd’hui l’apanage de cinéastes qui s’y dédient corps et âme, à l’image d’Henry Selick (Wendell & Wild, Coraline) mais aussi des belges Vincent Patar et Stéphane Aubier, et leurs célèbres Cowboy et Indien anti-héros de Panique au Village. Comme par le passé, le cinéma joue avec la technique pour raconter de grandes histoires à petite échelle, à l’instar de Wes Anderson, tout en douceur, dans L’Île aux chiens ou Fantastic Mr. Fox. Et là aussi, soulignons-le, la Belgique brille par ses talents comme Christine Polis, dont vous découvrirez l’interview en page 30, mais aussi Kim Keukeleire, Marijke Van Kets, Steven De Beul, ou Emma De Swaef et bien d’autres, dont les créations font désormais le tour du monde. On l’a dit, l’animation est le lieu de tous les possibles. Au travers de cette virée dans l’histoire du cinéma, nous avons tenté de brosser un portrait très rapide de cet univers vaste du stop-motion. Les films présentés ici l’ont été pour leur qualité, leur caractère unique mais aussi, il faut le dire, par le prisme d’une opinion très subjective et encore en pleine découverte de ce monde incroyable. Aussi, si vous êtes lectrice ou lecteur plus averti que nous, ne nous en tenez pas rigueur. Et si vous partagez, comme nous, cette fascination pour le stop-motion et toutes ses merveilles, rendez-vous au Festival Anima pour y découvrir Un amour de cochon, mais aussi Interdit aux chiens et aux Italiens en avant-première, en présence de leurs équipes. Et si vous n’êtes pas familier de ce médium, quelle meilleure manière de le découvrir ?


© O'Brother

Envie d’aller plus loin? Deux auteurs belges spécialistes de l’animation vous y aident. Philippe Moins dans L’animation en 100 films, éditions Capricci, et Dick Tomasovic avec Le corps en abîme, un petit ouvrage remarquable sorti aux éditions Rouge profond.



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