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The Phoenician Scheme : la singularité de Wes Anderson

© Sony Pictures
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Une seconde, deux maximum : il n’en faut pas beaucoup plus pour reconnaître dans The Phoenician Scheme la patte de Wes Anderson. Son style, déjà assez distinctif au début de sa carrière, est devenu au fil des années une marque de fabrique extrêmement identifiable. Célébré des un·es, conspué des autres, ses tics de mise en scène sont devenus si marqués qu’ils dominent désormais quasi toutes les discussions autour de son cinéma. Au risque d’en oublier les films en eux-mêmes, dans toute leur singularité.  


S’il a beaucoup de choses en commun avec The French Dispatch ou Asteroid City, The Phoenician Scheme a aussi sa propre identité thématique, visuelle et sonore. C’est un film qui a par exemple une palette moins colorée que les autres productions de Wes Anderson, avec une gamme chromatique qui tire davantage vers le beige, le gris et le vert - des couleurs qui siéent bien à son protagoniste, Anatole «Zsa-zsa» Korda (Benicio Del Toro, génialement taciturne). Cet industriel, que la narration nous présente comme un impitoyable personnage, capable de tout pour s’enrichir, se fond assez bien dans l’univers (légèrement) terne du film. 

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C’est lors de la sixième tentative d’assassinat à son encontre qu’on fait la connaissance de ce lugubre millionnaire. Désireux d’assurer sa postérité, il retrouve sa fille, Liesl (Mia Threapleton, excellente), sur le point de devenir nonne, et lui propose de devenir sa seule héritière, ce qu’elle accepte…pour une période d’essai.  C’est le point de départ d’une aventure à travers le globe, guidée par des boîtes contenant de précieuses informations et plans, et qui servent de prétexte narratif au film. A cet égard, on sait plutôt gré à Anderson d’avoir adopté une structure moins enchâssée, et plus directe. Tout comme on lui sait gré d’avoir resserré son intrigue autour de quelques personnages plutôt qu’un vaste ensemble.


Cela ne signifie pas pour autant que l’émotion est tout à fait au rendez-vous. Une certaine mélancolie se dégage de cette relation frelatée entre père et fille, mais les sentiments sont souvent en sourdine, pour les personnages, comme pour le public. Si émotions on veut trouver, il faut s’en mettre en quête : elles sont discrètes, cachées dans les interstices d’une intrigue plus personnelle et intime qu’elle n’en a l’air. 

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Comme l’a précisé le cinéaste pendant la conférence de presse à Cannes (répondant à une question d’Elli Mastorou), le personnage de Del Toro est inspiré du père de Juman Malouf, l’épouse de Wes Anderson. Cette clé en main, le sens de son film se débloque quelque peu, révélant un portrait détourné de son beau-père. Dans cette équation, on pourrait voir dans le tuteur passionné par les insectes incarné par Michael Cera, qui suit Zsa-zsa et Liesl dans leurs aventures, un double d’Anderson, donnant une certaine saveur autobiographique à celui-ci. Dans l’univers du cinéaste, Cera est d’ailleurs comme un poisson dans l’eau, la cocasserie et le malaise qui lui sont propres s’intégrant parfaitement à l’humour et à la sensibilité du film. 


The Phoenician Scheme est un des films les plus drôles d’Anderson. Il y a évidemment une multitude de gags truffés dans ses images, mais c’est dans ses éclats de violence qu’il suscite surtout l’hilarité, faisant de la brutalité du monde une arme comique (on s’y offre des grenades avec la même désinvolture qu’un cigare). La mort poursuit partout son personnage principal, et il est facile de s’en amuser. D’une parce qu’elle ne semble pas l’inquiéter outre mesure, et d’autre parce que le danger devient de plus en plus absurde et extravagant, d’une arme pointée par des terroristes à des sables mouvants diablement absorbants.

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Et puis, à l’heure où les milliardaires de la trempe de Zsa-zsa Korda détruisent le monde avec ferveur, difficile de s’inquiéter excessivement de son sort. Anderson semble en être conscient, et ne cherche pas trop notre empathie, mais garde tout de même l’espoir d’une rédemption pour ce mauvais père. La mérite-t-il ? Rien n’est moins sûr, mais le film arrive malgré tout à nous convaincre qu’il mérite une “période d’essai”. 


Quant au film en lui-même, il évoque des sentiments similaires. Il est un peu trop âpre par endroit, mais parvient malgré tout à se faire aimer. Gageons qu’en le revoyant, notre affection pour cette aventure élégante et absurde aura grandi.



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